Le gros bon sens

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 26 avril 2024 et dans Le Devoir, le 27 avril 2024

Nous sommes à l’aube d’une crise climatique sans précédent, et les conservateurs montrent leur priorité en lançant une pétition en ligne, dans la foulée du Sommet sur la pollution plastique et le projet de loi C-380, pour sauver les pailles… en plastique !

On se doute bien que ce nouvel amour des troupes de Pierre Poilievre pour ces pailles en voie de disparition cache une volonté de préserver ce marché lié au secteur pétrolier (le plastique est composé à partir de pétrole), qui engrange pourtant déjà des milliards de bénéfices chaque année avec ses autres activités commerciales.

Cette manoeuvre des conservateurs consiste, de toute évidence, à s’opposer à n’importe quelle législation pouvant nuire à l’industrie du pétrole, même la plus insignifiante, dans l’objectif de retarder le plus longtemps possible une politique environnementale inévitable reléguant sur le bas-côté l’utilisation du pétrole.

Les conservateurs en appellent souvent au gros bon sens dans leurs discours, même dans le cas de cette pétition comme dans leur opposition au marché du carbone ou lorsqu’ils traitent ce sommet international de « réunion radicale », tandis que le véritable gros bon sens se situe à l’opposé, dans la pérennité du genre humain avant le profit des compagnies pétrolières et dans le rejet des idées conservatrices en environnement d’un autre temps par les électeurs qui utiliseront lors des prochaines élections, espérons-le, leur gros bon sens. 

La tête dans le sable

Cet article a été publié dans Le Devoir, le 13 avril 2024

Les températures de l’atmosphère et des océans ont atteint des sommets inégalés en mars dernier et les glaciers des pôles fondent à la vitesse grand V. La vie est menacée partout et on annonce une sixième grande extinction des espèces. Même la vie océanique est en péril, sous l’effet du refroidissement de l’air à haute température que les océans procurent au prix de leur acidification annoncée.

Photo de Li-An Lim sur Unsplash

Comble de tout, la croyance en la science et la raison reculent pour faire place à un populisme de droite décomplexé qui épouse les thèses les plus farfelues tout en séduisant une partie de la population. Ces gens ne sont même pas conscients des véritables enjeux et de la gravité de notre laisser-aller collectif vers l’autodestruction, vers laquelle nous emboîtons le pas allègrement sans changer notre mode de vie.

Quelle personne raisonnable ne se soucierait pas de cette situation ? La plupart d’entre nous seront encore vivants, surtout nos enfants et nos petits-enfants, lorsque les grands bouleversements arriveront et que la civilisation vacillera sur ses fondations.

Le pire, c’est que nous le savons depuis des décennies et que nous aurions pu changer à temps pour éviter l’effondrement. Mais nous avons préféré succomber aux chants des sirènes de l’argent, du développement économique débridé et de la consommation de masse, cannibalisant ainsi notre milieu de vie et notre futur.

Au bout du compte, toute cette évolution, tous ces progrès scientifiques n’auront servi qu’à cet ultime aboutissement ? Tout ça pour ça ?

Jeune, j’avais plutôt confiance en l’avenir et je croyais que l’humanité finirait par faire les bons choix le moment venu. Cette hypothèse reste encore à démontrer. Mais le temps joue contre elle, et contre nous, aussi longtemps que nous nous maintiendrons, comme les autruches, menacées d’extinction, la tête dans le sable… 

Le sauveur

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 29 mars 2024

Il s’agit probablement de la première fois qu’un candidat à la présidence se lance dans la vente de bibles version américanisée afin de mousser sa popularité.

Les recettes de ces ventes ne financeront pas la campagne électorale de Donald Trump, assure-t-on, mais son nom et son image associés à ce projet pourront être utilisés à des fins pécuniaires par l’entremise de l’une des entreprises qu’il possède.

Donald Trump espère probablement ainsi faire d’une pierre deux coups en amenuisant ses problèmes financiers et en courtisant davantage sa base électorale (qui lui est pourtant déjà acquise).

Certains Américains considèrent Donald Trump comme l’archétype du rêve américain et pour d’autres il est le sauveur de leur pays face à son déclin annoncé.

Toutefois, se lancer dans une telle entreprise ne traduit-il pas un aveu de faiblesse de l’ex-locataire de la Maison-Blanche?

Outre l’aspect financier de cette aventure biblique qui pourrait miner sa réputation d’homme d’affaires prospère déjà récemment mise à mal avec ses démêlés judiciaires, sortir de cette façon les gros canons de la foi avant même le début de la campagne présidentielle ne serait-il pas comparable à avancer sa dame au tout commencement de la partie d’échecs avec tous les impondérables que cela comporte?

La dette

Cet article a été publié dans Le Devoir, le 18 mars 2024

Un vent d’inquiétude souffle après la divulgation du dernier budget du gouvernement du Québec et les spectres du déficit et de la dette resurgissent dans les propos alarmistes de certains commentateurs et analystes. 

Photo de Sapan Patel sur Unsplash

Nous semblons, de manière presque existentielle, très préoccupés par les dettes financières qui touchent la plupart des États du monde, et particulièrement le nôtre. Pourtant, nous devrions nous soucier d’une autre dette, plus alarmante celle-ci, c’est-à-dire celle que nous contractons avec la nature par notre modèle économique extractiviste peu soucieux de l’environnement, comme le dénonce depuis longtemps la journaliste et essayiste Naomi Klein.

Car la nature a aussi sa logique comptable : elle détient un actif constituant les richesses naturelles et la qualité de son environnement; mais elle a aussi un passif, l’activité industrielle et commerciale humaine avec ses conséquences délétères, qui diminue la valeur de ses richesses et, à chaque année, nous constatons que la pression faite par les humains sur les ressources planétaires est de plus en plus intense et s’avère être intenable à long terme; additionnant ainsi de façon arithmétique la dette de notre espèce envers la nature dont on pourra difficilement s’acquitter. 

Il semble plutôt futile, après tout, de se soucier de l’endettement financier plutôt intangible d’un État que nous laisserons à notre progéniture lorsque nous ne considérons même pas avec sérieux notre dette envers la nature, somme toute beaucoup plus tangible, qui détériorera inévitablement la qualité de vie ainsi que l’avenir de nos descendants… 

La grande séduction

De récents sondages montrent une effervescence du vote conservateur, notamment au Canada anglais, chez les jeunes, les minorités ethniques et les travailleurs. On a même pu assister récemment à une élection partielle en Ontario consacrant la victoire d’un candidat conservateur issu de ces minorités — ce qui a de quoi surprendre car ces groupes ne représentent pas le bassin traditionnel d’électeurs du Parti conservateur, même si l’usure du pouvoir malmène les libéraux. 

Cependant, on peut se questionner sur la durabilité de cette lune de miel, entre les conservateurs et ces catégories d’électeurs, qui s’effritera fort possiblement une fois le Parti conservateur au pouvoir : les jeunes risquent de se braquer devant l’insouciance environnementale du parti de Poilievre et son intention de poursuivre à fond l’exploitation des sables bitumineux; les travailleurs réaliseront qu’ils passent toujours en dernier derrière les intérêts des grandes entreprises si proches des conservateurs; et les minorités ethniques regarderont d’un mauvais oeil les membres très influents du parti poussant pour un conservatisme social empreint d’un dogme fondamentaliste chrétien. 

Toute lune de miel a une fin, même en politique (on l’a bien constaté avec Justin Trudeau), mais la fin arrive encore plus rapidement lorsqu’on tente de séduire un électorat à grands coups de promesses dont on sait très bien qu’elles seront difficilement réalisables pour ne pas déplaire à la base traditionnelle du parti…

La dictature de la liberté

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 28 février 2024

Malgré ses déboires judiciaires et ses propos inappropriés, le candidat à la présidence, Donald Trump, ex-président des États-Unis, paraît être en bonne voie de remporter, encore une fois, l’investiture républicaine avec ses récentes victoires.

Consacré sauveur de l’Amérique par ses partisans, le sulfureux populiste lutte contre une soi-disant gauche radicale présente partout et combat un État profond qu’il essaiera de détruire en «drainant le marais de Washington» tout en balayant du revers de la main les institutions politiques garantissant la séparation de l’État et de la religion ainsi que la séparation des pouvoirs.

Il semble alors contradictoire que l’ex-président, qui aimait frayer avec les pires despotes de notre époque lors de son (premier) mandat, s’affiche encore en tant que seul défenseur véritable de la valeur américaine fondamentale, la liberté individuelle, qu’il entend protéger en usant paradoxalement de politiques autoritaires à l’image d’une étrange dictature de la liberté.

Cependant, de cette façon, il risque conséquemment d’affaiblir la liberté pour le plus grand nombre de ses concitoyens en bafouant les principes constitutionnels d’équilibre et de contre-pouvoirs (si chers aux Pères fondateurs) instaurés il y a plus de 200 ans afin, justement, de préserver le peuple américain d’un éventuel tyran…

Photo de Elena: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/gens-rue-banniere-foule-6274231/

Pour quelques dollars de plus

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 22 février 2024

On a appris ces dernières semaines que la CAQ aurait reçu des contributions politiques de façon plus ou moins éthique. En particulier, le cas d’un couple endeuillé qui a rencontré la ministre Guilbault en échange d’une contribution de 100 $ chacun (en théorie permise par la loi électorale ) soulève des questions.

Plusieurs rétorquent qu’on n’achète pas des ministres avec 100 ou 200 $, mais la question n’est pas là. Le fait qu’un parti politique use de l’appareil gouvernemental dont il est à la tête pour obtenir du financement politique contrevient sans aucun doute à l’éthique et à l’esprit de la loi sur le financement des partis politiques, car cela induit qu’un citoyen a plus accès à un ministre en déliant les cordons de sa bourse qu’un autre — ce qui «monétise» la relation entre un élu et ses commettants.

Il est surprenant qu’une telle chose arrive encore aujourd’hui, surtout avec un premier ministre expérimenté, qui connaît bien le jeu politique et qui risque de perdre encore plus en crédibilité, ainsi que son parti, pour quelques dollars de plus…

Trump et la paix

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 14 février 2024

Il a été rapporté, avec surprise, que le potentiel candidat républicain, Donald Trump, aurait suggéré à la Russie d’envahir les pays ne payant pas leur juste part à l’OTAN s’il devenait président à nouveau.

Une déclaration lourde de sens lorsque l’on sait que l’article 5 de l’organisation exige aux États membres de défendre n’importe quel autre État membre subissant une agression – ce qui garantit la paix en Europe de l’Ouest depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et place la Russie en échec depuis ce temps.

Ajoutons que le manque à gagner de l’OTAN envers quelques membres ne pourra jamais surpasser les coûts d’une guerre totale en Europe et les pertes désastreuses qui en découleraient pour les Américains au plan commercial avec l’Union européenne.

L’ex-président Trump a déjà affirmé qu’il n’y a pas eu de guerre sous son (premier) mandat. Imagine-t-il alors que l’Europe sous contrôle russe de l’Atlantique à l’Oural garantisse la paix pour ses concitoyens?

L’équilibre mondial des forces ne changerait-il pas dans un Vieux Continent sous la férule du Kremlin?

Il est arrivé dans l’histoire que les États-Unis adoptent une politique isolationniste pour ensuite intervenir à l’étranger lorsque la sécurité nationale l’impose. Donald Trump semble l’oublier…

Photo de Polina Zimmerman: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/atout-maga-rendre-l-amerique-encore-plus-belle-4108498/

Un gouvernement des juges

L’appel à la Cour suprême de la cause concernant la participation à une insurrection de Donald Trump place les États-Unis dans les mains des magistrats consacrant ainsi une nouvelle forme de “gouvernement des juges”.

Pour la petite histoire, le concept de gouvernement des juges a été évoqué pour la première fois dans les 1920 à propos de la tendance du pouvoir judiciaire américain à privilégier les opinions personnelles des juges au détriment de l’esprit de la loi et aussi à prendre des décisions qui devraient normalement revenir au pouvoir politique.

Aujourd’hui, nous risquons d’assister encore au même phénomène avec le jugement à venir d’une Cour suprême remaniée par Donald Trump lui-même avec les nominations de juges lors de son mandat donnant la majorité aux conservateurs dans cette institution (on pourrait d’ailleurs affirmer que cette Cour a déjà légiféré là où le politique aurait dû le faire dans l’invalidation de l’arrêt Roe v. Wade sur le droit à l’avortement en juin 2022).

Les juges auront à trancher sur l’éligibilité de l’ex-président dans la prochaine élection présidentielle en interprétant la section 3 du 14e amendement de la Constitution alors que les acteurs politiques, très polarisés, n’ont pas pu se prononcer sur la question. Or, en le trouvant coupable, la Cour suprême viendra probablement mettre un terme à sa campagne présidentielle et dans le cas contraire, cela ouvrira la porte à l’une des élections présidentielles les plus périlleuses de l’histoire des États-Unis avec deux dénouements probables : dans la possibilité d’une défaite du populiste, il appellera encore (sans fondement) à la fraude électorale et ses partisans répondront par la violence comme en janvier 2020 avec des conséquences que nul ne peut prévoir; advenant une victoire, la grande insatisfaction dans plusieurs États démocrates et les manifestations anti-Trump (certains ont même évoqué un risque de guerre civile) pourraient susciter une réaction présidentielle imprévisible et dangereuse – sans compter la promesse de l’ex-président de se venger, sans considération des institutions politiques et de la Constitution, de ceux qui ne l’ont pas appuyé à la suite de sa défaite électorale.

Dans un cas comme dans l’autre, la finalité de cette élection présidentielle sera la responsabilité de ce jugement de la Cour suprême. Nous verrons alors si les opinions politiques de la majorité conservatrice de la Cour l’emporteront sur l’esprit de la loi et si nous assisterons, une nouvelle fois, à un autre… gouvernement des juges.

Photo de Phung Touch: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/building-architecture-etats-unis-monument-17843099/

La fin de l’argent comptant?

Une vague d’inquiétude a déferlé après l’annonce de la Banque Nationale et du Mouvement Desjardins de fermer des comptoirs de service et d’éliminer des guichets dans plusieurs régions du Québec, laissant planer leurs intentions d’en finir avec l’argent comptant comme dans certains pays scandinaves. Les institutions financières évoquent la baisse marquée de l’utilisation de ces services et la diminution des transactions en espèces afin de justifier ces changements (1 % des transactions au comptoir et 3% au guichet automatique selon Desjardins).  Et, dans la foulée, nous apprenions aussi que certains commerces refusaient désormais le paiement comptant.

En conséquence, plusieurs organismes s’inquiètent des impacts négatifs de ce recul de l’utilisation de l’argent comptant sur les clientèles plus vulnérables, telles que les personnes âgées peu habituées à utiliser la technologie ou les personnes avec des handicaps physiques ou intellectuels. 

Évidemment, il y a aussi des avantages autant pour les banques que pour la société à généraliser les opérations de manière électronique. Parmi ceux-ci, les premières profiteraient d’économies dans leur offre de service et la deuxième pourrait ainsi lutter plus efficacement contre les vols qualifiés, le crime organisé et l’évasion fiscale, comme l’a démontré l’expérience de pays comme la Suède ou le Danemark.

Toutefois, c’est au plan éthique et de l’équité sociale que le bât blesse.  Tout d’abord, cette généralisation des transactions électroniques permettrait aux institutions financières de connaître encore plus parfaitement le profil de consommation de chaque client tout en ayant davantage de latitude à fixer les frais de transaction de manière arbitraire.  Il y aussi la question des citoyens à faibles revenus ou peu instruits, ayant difficilement accès à un compte bancaire, ainsi que des personnes démunies qui sillonnent les rues sans domicile fixe et qui survivent (malgré tout et plus difficilement aujourd’hui, car moins de personnes ont de la monnaie sur eux) avec les dons en espèces sonnantes et trébuchantes via la quête ou des associations caritatives comme Moisson Montréal. 

Certes, la transition du Danemark et de la Suède vers une société sans argent liquide s’est faite sans beaucoup de heurts.  Cependant, il s’agit de sociétés à haut niveau de vie avec une sécurité sociale plus avancée que la plupart des pays occidentaux – ce qui minimisa l’impact négatif de ces changements sur les personnes les plus vulnérables.

Si les institutions financières désirent aller de l’avant avec ce projet, les gouvernements devront mieux encadrer leurs activités afin de s’assurer que cette transition ne se fasse pas au détriment des droits de leurs clients ainsi que des personnes sans voix qui deviendront, de facto, des citoyens de deuxième ordre. Une vaste consultation publique serait même nécessaire. En fait, sans une garantie que personne ne sera lésée dans ce nouveau cadre monétaire, l’argent comptant devrait, par souci d’équité, rester en circulation…

Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-main-sans-visage-riche-4386433/