Une vague d’inquiétude a déferlé après l’annonce de la Banque Nationale et du Mouvement Desjardins de fermer des comptoirs de service et d’éliminer des guichets dans plusieurs régions du Québec, laissant planer leurs intentions d’en finir avec l’argent comptant comme dans certains pays scandinaves. Les institutions financières évoquent la baisse marquée de l’utilisation de ces services et la diminution des transactions en espèces afin de justifier ces changements (1 % des transactions au comptoir et 3% au guichet automatique selon Desjardins). Et, dans la foulée, nous apprenions aussi que certains commerces refusaient désormais le paiement comptant.
En conséquence, plusieurs organismes s’inquiètent des impacts négatifs de ce recul de l’utilisation de l’argent comptant sur les clientèles plus vulnérables, telles que les personnes âgées peu habituées à utiliser la technologie ou les personnes avec des handicaps physiques ou intellectuels.
Évidemment, il y a aussi des avantages autant pour les banques que pour la société à généraliser les opérations de manière électronique. Parmi ceux-ci, les premières profiteraient d’économies dans leur offre de service et la deuxième pourrait ainsi lutter plus efficacement contre les vols qualifiés, le crime organisé et l’évasion fiscale, comme l’a démontré l’expérience de pays comme la Suède ou le Danemark.
Toutefois, c’est au plan éthique et de l’équité sociale que le bât blesse. Tout d’abord, cette généralisation des transactions électroniques permettrait aux institutions financières de connaître encore plus parfaitement le profil de consommation de chaque client tout en ayant davantage de latitude à fixer les frais de transaction de manière arbitraire. Il y aussi la question des citoyens à faibles revenus ou peu instruits, ayant difficilement accès à un compte bancaire, ainsi que des personnes démunies qui sillonnent les rues sans domicile fixe et qui survivent (malgré tout et plus difficilement aujourd’hui, car moins de personnes ont de la monnaie sur eux) avec les dons en espèces sonnantes et trébuchantes via la quête ou des associations caritatives comme Moisson Montréal.
Certes, la transition du Danemark et de la Suède vers une société sans argent liquide s’est faite sans beaucoup de heurts. Cependant, il s’agit de sociétés à haut niveau de vie avec une sécurité sociale plus avancée que la plupart des pays occidentaux – ce qui minimisa l’impact négatif de ces changements sur les personnes les plus vulnérables.
Si les institutions financières désirent aller de l’avant avec ce projet, les gouvernements devront mieux encadrer leurs activités afin de s’assurer que cette transition ne se fasse pas au détriment des droits de leurs clients ainsi que des personnes sans voix qui deviendront, de facto, des citoyens de deuxième ordre. Une vaste consultation publique serait même nécessaire. En fait, sans une garantie que personne ne sera lésée dans ce nouveau cadre monétaire, l’argent comptant devrait, par souci d’équité, rester en circulation…
Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/homme-main-sans-visage-riche-4386433/