La machine

Cet article a été publié dans Le Soleil, le 11 février 2023

Faisant écho à l’âge de recul de la retraite en France, le gouvernement du Québec envisage le report de l’âge de l’obtention des rentes du Québec au-delà de 60 ans. 

Pourtant, de récentes évaluations actuarielles confirment la viabilité du régime pour les prochaines cinquante années. Comment alors expliquer cet empressement de report de l’âge de l’admissibilité à la RRQ? On évoque évidemment le manque de main-d’œuvre et l’allongement de l’espérance de vie, surtout du côté patronal qui désire perpétuer ses activités commerciales sans contrainte.

Du point de vue du travailleur salarié, il s’agit toutefois d’un repli. Nous avons souvent entendu parler de l’avènement de la société des loisirs, de la réduction du travail et d’une augmentation de la qualité de vie dans le futur. Mais ce qu’on nous propose ici correspond bien à une régression. 

Le progrès associé à l’industrialisation et à la modernité qui consiste, en théorie, à améliorer les conditions de vie des hommes et à les libérer de plus en plus du labeur n’était-il pas au final qu’une illusion? Les impératifs économiques du capitalisme passent-ils toujours devant le bien-être des individus?

De plus, il demeure incompréhensible, avec les dernières avancées technologiques comme la robotisation qui promettait d’être miraculeuse et tout récemment le développement surprenant de l’intelligence artificielle, que l’idée d’un recul de l’âge de recevabilité des prestations de retraite soit la meilleure solution aux problèmes liés à la production et au monde du travail — concrétisant ainsi un échec sociétal flagrant.

Au 19e siècle, les ouvriers des usines faisaient tourner les machines des industriels sans relâche avec de longues et pénibles journées de travail. Il a fallu de nombreuses grèves, parfois sanglantes, instiguées par les syndicats de l’époque pour faire stopper les machines afin de faire comprendre aux capitaines de l’industrie les revendications des ouvriers et alors diminuer leurs nombres d’heures de travail au détriment de la soif de profits.

Peut-être sera-t-il indispensable pour nous de faire grève prochainement, comme de nombreux salariés français ces temps-ci, pour aussi faire arrêter cette machine du capital qui ne cesse de tourner, afin de lui faire comprendre également nos récriminations et notre droit de jouir pleinement de la vie… et de notre retraite.

Photo de Jeriden Villegas sur Unsplash

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Démocratie et économie de marché

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 27 janvier 2023

Nous apprenions, sans grande surprise, que l’écart entre les revenus des salariés et ceux des PDG des grandes entreprises canadiennes (et partout dans le monde) s’était encore accentué. Le phénomène, au lieu de se résorber, tend à s’amplifier en corrélation avec la disparition lente et certaine de la classe moyenne depuis plus d’une trentaine d’années en Occident.

Comment alors définir notre civilisation en regard de ce creusement inédit des inégalités? Certes, nous nous berçons dans l’illusion de vivre dans une démocratie politique représentative idéale, mais dans la réalité, la démocratie réelle, c’est-à-dire économique, est aussi mise à mal et sa détérioration arrive même à compromettre la démocratie politique par l’ascendance délétère de riches personnages et de puissances d’argent sur les élus et les institutions politiques.

Paradoxalement, les principes démocratiques et de liberté hérités du siècle des Lumières, qui ont pourtant permis l’essor de l’économie de marché dans un cadre libéral, sont désormais menacés par la concentration excessive des richesses et l’influence de super-riches (qui sont l’ultime aboutissement du capitalisme) situés bien au-dessus des lois et des réglementations étatiques (notamment dans le paiement de leurs impôts), comme si la civilisation occidentale avait fait un retour en arrière vers l’ancien régime féodal qui était dominé par quelques familles possédant l’essentiel des richesses et du pouvoir politique face à une masse servile et appauvrie.

Ces nouveaux maîtres du monde, comme les anciens nobles et aristocrates du Moyen Âge, dans un contexte social de désinformation, de remise en question de la science, de recul des droits fondamentaux et d’atomisation de la société, hésitent à suggérer des changements positifs de paradigmes, qui seraient pourtant bénéfiques à la collectivité, de peur de perdre leurs avantages et tout ce qui a permis leur enrichissement, comme la consommation de masse polluant à l’extrême l’environnement et la commercialisation à grande échelle des énergies fossiles réchauffant dangereusement le climat.

Il y a plus de quatre siècles advenait une Renaissance qui a permis de sortir d’une époque de ténèbres. Espérons, bientôt, qu’une nouvelle renaissance émerge de ce nouveau Moyen Âge pour guider le genre humain vers une période historique plus humaniste et respectueuse de l’environnement… pour la suite du monde.

Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/suivre-caoutchouc-riche-empiler-4386476/

La faim du monde

Cet article a été publié dans Le Devoir et Le Soleil de Québec, le 22 décembre 2022

L’année 2022 se conclut avec la COP15 sur la préservation de la biodiversité, et malgré les laïus rassurants, on se doute que le tout risque de rester lettre morte en raison des tractations difficiles qui ont marqué le sommet. S’il y a un sujet aussi important, sinon plus que tout autre, c’est bien la biodiversité. Grâce à elle, la pyramide du monde vivant se maintient ainsi que la pérennité alimentaire de l’humanité.

Pourtant, de nombreuses espèces continuent à s’éteindre à un rythme effarant (dont les abeilles, qui jouent un rôle essentiel dans la pollinisation) dans ce qu’on appelle déjà la sixième extinction de masse, et nous persistons dans la monoculture qui appauvrit les sols sans oublier l’utilisation de pesticides, de semences et d’organismes génétiquement modifiés à la Monsanto-Bayer qui comportent des risques pour l’environnement ainsi que pour la santé humaine.

Sans un changement de paradigme dans l’agriculture et la conservation des espèces animales et végétales, serons-nous capables d’éviter dans l’avenir la faim du monde ?

Photo de Lena Sova: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/nature-foret-feuille-arbre-9902192/

Et si le capitalisme était une religion?  

Une idéologie et une croyance religieuse ont beaucoup de choses en commun.  Toutes les deux cherchent à définir la réalité en imposant des règles qui supportent leurs visions du monde. Une question me vint alors à l’esprit : et si le capitalisme était une religion? Voyons-y de plus près.

Le capitalisme, comme tout culte, a eu un prophète qui est à l’origine de la rédaction du livre sacré qui deviendra la bible du mouvement de croyance ( Adam Smith et La richesse des nations). De plus, le capitalisme a créé aussi un véritable clergé de la théorie du marché qui n’hésite pas à user d’un prosélytisme dans toutes les sphères de la société (groupes de réflexion, groupes de pression, etc.). 

Et comme les religions monothéistes, il n’a qu’un seul Dieu. L’argent.

De façon semblable au christianisme, le capitalisme a étendu son emprise sur d’autres contrées et continents afin de propager la bonne parole et d’accaparer ainsi autant les esprits des indigènes que leurs richesses naturelles, allant même parfois à faire la guerre.

Le capitalisme cherche également à remplacer les anciennes religions et même à les intégrer en partie dans son système de croyances comme le fit la religion chrétienne.  Pensons seulement à la thèse présentée par Max Weber dans L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme. 

Dans le dogme capitaliste, comme dans la plupart des confessions, il y a des déclinaisons entre les pratiquants orthodoxes et hétérodoxes, autrement dit ceux qui croient sur parole et ceux qui se posent des questions. Nous pouvons relater ici le courant libéral classique et l’école keynésienne en économie qui proposent des façons de faire différentes dans l’application du capitalisme. 

Enfin, la doctrine capitaliste a connu aussi sa guerre sainte, plus précisément dans son cas contre l’Empire du mal (dixit Ronald Reagan) que constituait l’URSS et tout l’ancien bloc communiste. Une guerre sainte dont le capitalisme est sorti vainqueur et qui prouva indubitablement la justesse de sa cause et l’appui inébranlable du Divin en son credo.

Démocratie de papier

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 3 octobre 2022

Jair Bolsonaro, président d’extrême droite sortant du Brésil, a obtenu, contre toute attente, 43% des voix au premier tour de la présidentielle face à son adversaire socialiste Lula da Sylva à 48%.

Pourtant, son mandat n’a été qu’une suite de démonstration d’incompétence, de déconnexion de la réalité (surtout en environnement), de mépris des minorités et des pauvres dans un pays déchiré par les inégalités sociales.

Et le pire est qu’une grande partie de son électorat se retrouve justement parmi les classes sociales les moins richissimes ainsi que les moins éduquées, et elles sont donc les plus réceptives à la désinformation et à la propagande d’une droite au service des grandes fortunes brésiliennes.

Ceci met donc en lumière un fait évident: la démocratie politique sur papier est bien jolie, mais son espérance de vie est limitée si la démocratie économique (et donc effective) égalisant les chances pour tous ne vient pas la soutenir dans la réalité.

La Russie des extrêmes

Cet article a été publié dans Le Devoir, le 13 août 2022 et dans Le Soleil de Québec, le 19 août 2022

L’histoire contemporaine de la Russie fut mouvementée et les événements récents en Ukraine tendent encore à le démontrer. En 1917, elle se sortit des griffes du régime monarchique des Tsars avec la prise du pouvoir des bolcheviks et 72 années plus tard, après la déroute de l’expérience communiste en ce pays, la Russie tenta de copier le modèle de la démocratie libérale qui s’avéra être aussi un échec dans un pays où les mœurs démocratiques ne se sont jamais vraiment développées.

Nous le savons, Poutine règne désormais en maître en son pays depuis plus de 20 ans. Les nombreux opposants politiques sont emprisonnés, voire pire. Les médias indépendants du régime ne sont qu’une vue de l’esprit, encore plus depuis la guerre en Ukraine. Poutine déclare même sans ambages que son pays s’aligne maintenant dans l’axe des pays autocratiques qui sont opposés à la démocratie occidentale (dans lequel figure aussi la Chine).

Dans la foulée, le pays du Grand Ours sombre de plus en plus vers l’ultraconservatisme aux accents nationalistes avec l’adoption de nouveaux amendements à la Constitution russe interdisant le mariage homosexuel et privilégiant l’enseignement patriotique à l’école, entre autres. Par ailleurs, il existe même un parc d’attractions familial consacré à la glorification de l’armée russe — ce qui aurait fait pâlir de jalousie les plus fervents partisans du national-socialisme de l’Allemagne du Troisième Reich.

De plus, la Russie, tout comme son adversaire naturel, les États-Unis, n’est pas à une contradiction près. Elle délaissa un régime communiste pour se vouer corps et âme au capitalisme en moins d’une génération, tout en reproduisant les pires travers de ce système économique : les inégalités en Russie sont parmi les plus criantes du G20, l’impôt sur le revenu est à taux unique (ce qui est une mesure régressive favorisant les plus riches) et le 1 % des mieux nantis, c’est-à-dire les oligarques, détient la moitié de la richesse nationale.

Cette invasion de l’Ukraine par la Russie nous révèle aussi d’autres contradictions. Le régime de Poutine, dont les tendances fascistes sont évidentes, reproduit les mêmes politiques expansionnistes d’un certain chef allemand autoritaire du XXe siècle que le peuple russe a pourtant combattu avec acharnement pendant la Deuxième Guerre mondiale. Qui plus est, le chef du Kremlin accuse fallacieusement le gouvernement ukrainien d’être d’obédience nazie pour mieux justifier une simple « opération militaire spéciale » et pour camoufler du même coup son propre autoritarisme d’extrême droite…

Dans le microcosme

Photo de Soulful Pizza provenant de Pexels

Nous savons tous que les ultra-riches ont engrangé encore plus de richesses avec la pandémie. Le capitalisme, avec tous ses excès, ne parvient évidemment pas à juguler l’écart grandissant des richesses entre les individus et l’on se doute très bien que cet état de fait n’est pas de très bon augure pour l’avenir.

Toute cette situation me fait penser à une expérience sociale de mes années d’études collégiales, il y a plus de 30 ans, dans le cadre d’un cours de psychologie (si ma mémoire est exacte). Certains l’ont probablement aussi vécue. Cela s’appelait un microcosme. Veuillez noter que ces événements ont eu lieu il y a longtemps et que mes souvenirs sont assez lointains. Toutefois, je crois me rappeler l’essentiel, car ce fut tout de même une expérience marquante.

Alors voici.

Pendant plusieurs heures, les étudiants furent cloîtrés dans un local qui ne comportait que quelques chaises. On leur demandait aussi d’amener leurs repas du dîner. L’enseignant assure la direction de l’expérience qui consistait à reproduire une microsociété avec ses différentes classes sociales avec l’implication active des étudiants.

Au départ, l’enseignant distribue des enveloppes à chaque étudiant dans lesquelles se trouvaient des cartes de couleurs représentant les unités de valeur monétaire de cette microsociété. Et, à ce que j’ai cru comprendre, l’enseignant octroya sciemment une plus grande richesse dans les enveloppes des étudiants arborant les plus beaux vêtements et une attitude plus bourgeoise, dans l’objectif de reproduire le plus fidèlement possible les traits caractéristiques de la véritable société dans cette microsociété. Il devait probablement en être ainsi pour la qualité de l’expérience. Par ailleurs, dans un souci de non-interférence, l’enseignant se dissimulait souvent dans un petit local jouxtant la classe et observait l’expérience à travers un miroir sans tain.

Ensuite, il y a eu des activités simulant un marché économique. Tout ce jeu consiste à échanger des cartes entre les participants afin que ceux-ci ramassent des combinaisons de cartes de couleurs qui permettaient de multiplier la richesse fictive de chacun. Cependant, comme je le signalais ci-haut, j’ai eu la forte impression que les dés étaient pipés au départ afin d’avantager certains individus au détriment de d’autres.

L’expérience se poursuivit. Le nombre de chaises dans le local étant limité, elles furent mises aux enchères. Les quelques « privilégiés » de la microsociété les accaparèrent aisément grâce à leur richesse tandis que le reste de la « populace » devait s’asseoir sur le sol pendant tout le déroulement de l’expérience.

Et arriva enfin l’heure du repas. L’enseignant regroupa alors les repas de tout le monde pour les déposer devant le groupe des privilégiés (qui était beaucoup moins nombreux que l’autre groupe). Ceux-ci se servirent à leur guise dans cette corne d’abondance simulée et dégustaient leurs repas tandis que les autres devaient se contenter de les regarder tout en étant inconfortablement installés sur le plancher. Et c’était précisément là que la pertinence de l’expérience trouva tout son sens.

Que s’est-il passé lors cette étape cruciale?

Ici, je vais relater mon expérience personnelle ainsi que celle d’un vieil ami qui a aussi participé à cette simulation, mais dans une classe différente (lui aussi s’en souvient assez bien). Les dénouements des deux microsociétés sont des plus intéressants.

Microsociété 1

Ce groupe fut constitué de personnes un peu plus âgées que la moyenne dans un cégep. Les tensions y ont été aussi nettement vives.

Au départ, il y a eu une altercation entre l’une des privilégiées et une « ressortissante de la populace » au sujet de la propriété de l’une des chaises. À la suite d’une discussion assez vive et de quelques empoignades, la privilégiée a pu garder son siège.

Aucune offre de partage collectif ne vint du côté des privilégiés. Ils se servaient allègrement dans les repas de tous pendant plusieurs longues minutes avant que quelques personnes et ultimement tous les gens au sol se lèvent pour enfin reprendre leur dû. La classe des privilégiés, devant un tel soulèvement du plus grand nombre, n’eut d’autre choix que de se plier à la « volonté populaire » revendiquant un partage intégral de tous les repas.

Microsociété 2

Ce groupe avait une moyenne d’âge assez jeune avec des finissants du secondaire qui se retrouvaient pour la première fois au cégep.

Les privilégiés, bien adossés sur leurs sièges, savouraient leurs repas en choisissant ce qui leur plaisait dans le vaste choix de repas que tout le monde avait amenés. Il ne vint à l’idée de personne dans ce groupe restreint d’offrir sans condition les repas à l’ensemble du groupe.

Devant la grogne qui commençait à se faire sentir, ils eurent une idée plus « pratique » afin de calmer la populace et de conserver en même temps leur statut de privilégiés : ils offrirent à l’un des membres de la populace d’agir en tant qu’agent de distribution de la nourriture avec compensation monétaire (c’est-à-dire un salaire avec certaines cartes de couleurs). Son rôle consistait à dispenser la nourriture graduellement, autrement dit petit à petit à un ou deux individus à la fois, tandis que les privilégiés conservaient leur mainmise et leurs prérogatives sur l’ensemble de la nourriture. Et la stratégie a fonctionné. Les membres de la populace se tinrent tranquilles, sachant bien qu’éventuellement, ils auraient leur petite part du gâteau.

Constats

Essayons maintenant, de manière non scientifique, de dégager des constats de ces deux expériences, bien que nous sachions qu’il est fort probable que des études poussées menées par des sociologues et des psychologues ont probablement compilé des données et sont parvenues à des conclusions plus exhaustives et complètes que les petits constats que je suis sur le point de vous présenter.

Étonnamment, je n’ai trouvé rien en référence à ce genre de simulation sur la toile. Est-ce que ce genre d’expérience de groupe ne se fait plus pour être en concordance avec le politiquement correct? Je n’en ai aucune idée.

Mais bon. Continuons.

La constance principale dans les deux cas est invariablement la résistance des « élites » à partager leurs richesses avec le reste de la population.

Dans un cas, il a fallu une révolte pour qu’enfin un partage plus équitable s’opère.

Dans l’autre cas, les élites ont eu la perspicacité, face à l’exaspération populaire pouvant se détériorer en révolte, de sous-traiter (avec un ressortissant de la classe populaire) une distribution progressive et partielle de la nourriture tout en gardant la mainmise et la priorité sur l’ensemble de la « richesse collective ». Nous pouvons d’ailleurs faire un parallèle avec plusieurs civilisations dans l’histoire qui distribuaient gratuitement des vivres afin de freiner les aspirations populaires, comme dans la Rome impériale, par exemple.

De plus, on a pu remarquer que le groupe composé de personnes plus âgées était nettement plus revendicateur que celui dans lequel la moyenne d’âge était plus basse.

En somme, le but de cette expérience de microcosme ou de microsociété est de faire comprendre à l’étudiant la dynamique sociale qui existe dans tout groupe humain organisé. La plupart du temps, il existe deux classes opposées par la richesse et le statut social (bien que parfois des classes moyennes plus ou moins importantes puissent exister) essayant de faire pencher la balance de leur côté au détriment de l’autre. Parfois, cela se conclut par un affrontement à tendance révolutionnaire et, d’autres fois, on en arrive à un partage des richesses certes inéquitable, mais suffisant pour calmer le mécontentement populaire et éviter de chambouler le cadre social.

En conclusion, tentons une comparaison avec notre époque dans laquelle les écarts de richesse sont grandissants et la classe moyenne est en déclin depuis des décennies (encore plus avec les hausses récentes du coût de la vie associées aux conséquences économiques de la pandémie). Même si quelques milliardaires ont proposé que les gouvernements les taxent davantage, comme Warren Buffett, il est encore trop tôt pour deviner quel scénario adviendra possiblement pour notre « macrocosme » qu’est la civilisation occidentale, ou à plus grande échelle, l’ensemble des sociétés humaines contemporaines. Tout dépendra de notre façon de réagir comme dans les deux expériences de microcosme : nous contenterons-nous de miettes ou nous solidariserons-nous pour recevoir notre juste part?

Une démocratie inachevée

Cet article a été publié en version abrégée dans Le Soleil de Québec, le 25 mai 2021

L’accession du candidat démocrate Joe Biden à la présidence promet un retour à une tradition plus démocratique aux États-Unis après les années régressives de la présidence Trump. Mais la première démocratie libérale de l’histoire n’est pas pour autant au bout de ses peines pour rétablir les principes démocratiques fondateurs sur lesquels elle s’est instaurée. Car même avant l’avènement d’un président si peu respectueux des institutions politiques et des idéaux démocratiques, les États-Unis ne s’en trouvaient pas moins depuis leur fondation sur une pente dangereuse affaiblissant leurs assises démocratiques. Un phénomène qui se poursuit encore malheureusement aujourd’hui.

Une République blanche, masculine et ségrégationniste

Historiquement, au début de la République et même au temps de la colonie, le droit de vote était réservé exclusivement aux hommes blancs possédant un titre de propriété, ce qui revenait à dire que seulement 6 % de la population avaient effectivement le droit de voter. Comme nous le savons déjà, les Afro-Américains furent considérés comme des esclaves avant même leur débarquement sur le continent. Avec la conclusion de la guerre civile, leurs droits ont été enchâssés dans la constitution avec le 13e amendement (fin de l’esclavage), le 14e amendement (égalité des droits) et le 15e amendement (vote garanti pour tous).

En conséquence, une vingtaine d’années plus tard après la guerre civile, on a pu assister à l’élection de plusieurs élus afro-américains, surtout dans les États du Sud et du Sud-Ouest.

En réaction, une ère de violence envers les gens de couleur s’empara de ces États et on essaya par tous les moyens de contourner le 15e amendement garantissant le droit de vote des Noirs avec l’implantation des « Black codes » et de lois « Jim Crow » favorisant fortement la ségrégation. En voici quelques exemples: dans ce qu’on appela le plan du Mississippi de 1890, on instaura une « Poll taxes », c’est-à-dire une contribution financière des électeurs lors des élections sous le prétexte que le processus électoral coûte cher, ce qui élimina d’emblée une grande partie des électeurs Afro-Américains qui vivaient dans la pauvreté. Il y avait, en plus, des tests d’alphabétisation que plusieurs électeurs noirs échouaient en raison de leur faible scolarité. Une autre pratique courante était de retirer le droit de vote aux citoyens ayant un casier judiciaire alors que l’on criminalisait des Afro-Américains avec des infractions plutôt mineures comme le flânage sur la voie publique ou être sans travail.

En juxtaposition au profilage racial et au haut taux d’incarcération des Noirs qui sont monnaie courante aux États-Unis, il est facile d’estimer le nombre élevé de Noirs qui ne purent pas voter, même encore à notre époque. L’État de la Floride fut le champion en ce domaine en retirant à vie le droit de vote à tous ceux ayant un casier judiciaire jusqu’au référendum de 2018 qui a rétabli ce droit, mais seulement pour les anciens détenus.

En conséquence de toutes ces entraves, la proportion de votants noirs inscrits chuta considérablement jusqu’aux années 50 et cette situation continue d’avoir encore ses effets de nos jours en désavantageant le Parti démocrate qui récolte en général la majeure partie du vote afro-américain.

En 1965, le « Voting rights act » visait à renforcer le droit de vote des Noirs et à favoriser une meilleure représentation politique de ces derniers après les difficultés évoquées ci-haut.

La suppression du vote moderne

Depuis quelques décennies, les manœuvres visant à exclure du processus électoral, surtout dans les États dont les gouverneurs sont des républicains, les clientèles plus progressistes se tournant plutôt vers les démocrates (jeunes, étudiants, pauvres, Latino-Américains, Afro-Américains, etc.) se sont multipliées – bien qu’elles aient toujours été présentes dans l’histoire américaine.

En 2013, la Cour suprême révisa le « Voting act right », dont nous parlions plus tôt, dans la cause Shelby county vs Holder en limitant la portée de cette loi phare, près de 50 ans après son adoption. Les juges conservateurs, avec John Q. Roberts Jr, alors président de la Cour suprême des États-Unis, purent affaiblir le droit de vote dans un jugement de 5 juges contre 4. Survient alors une panoplie de stratagèmes de suppression de votes dans plusieurs États, Texas en tête, visant particulièrement les clientèles électorales démocrates: on pouvait accepter certains documents d’identification au bureau de vote, mais pas d’autres pour des raisons obscures; on fermait des bureaux de vote ou on limitait les heures d’ouverture dans certains secteurs spécifiques afin d’allonger la file d’attente et de décourager les électeurs de voter; certaines machines de votation tombaient en panne ou étaient dysfonctionnelles la journée de l’élection (surtout dans les quartiers noirs); il y avait aussi les « purges » des listes électorales qui frappaient les électeurs n’ayant pas voté aux dernières élections. Ils perdaient tout simplement leur droit de vote sans avertissements ou notifications.

De son côté, l’établissement du droit de vote des femmes se concrétisa avec le 19e amendement en 1919 après une marche sur Washington, une grève de la faim et des piquetages devant la Maison-Blanche. De nos jours, le droit de vote des femmes n’est plus contesté et bien que l’implication des femmes en politique soit plus forte, mais encore minoritaire, le plafond de verre est encore difficile à faire éclater dans certains États et même à Washington.

Le Gerrymandering

Un autre phénomène de contournement de la démocratie consiste dans la pratique du gerrymandering qui fait des ravages notamment au Texas et en Caroline du Nord, mais aussi dans beaucoup d’autres États. Cette méthode pernicieuse de découpage de la carte électorale à l’avantage unique d’un parti politique est encore bien présente au pays de l’Oncle Sam. Le parti au pouvoir dans un État peut tracer les limites des circonscriptions pratiquement à sa guise.

Avec le soutien de matériels informatiques sophistiqués et de données statistiques sur la population, il est désormais facile de délimiter des circonscriptions de manière juste assez bien balancée démographiquement pour faire élire le candidat de son choix. Par exemple, on divise un secteur à majorité afro-américaine entre trois circonscriptions à majorité blanche. Ainsi, le vote afro-américain se retrouve minoritaire dans les trois circonscriptions et aucun candidat que les Noirs favorisent dans ce secteur n’est élu. Cette pratique se retrouve surtout dans les États à gouvernance républicaine qui utilisent les instances gouvernementales de leur État pour favoriser l’élection de leurs candidats dans leur congrès local ou au niveau fédéral.

L’exécutif unitaire

Au niveau du pouvoir exécutif fédéral, il y a une tendance depuis la présidence de Bush fils et de la vice-présidence de Dick Cheney à la concentration des pouvoirs dans les mains du président. L’exécutif unitaire est un sujet de débat constitutionnel qui date du début de la République et qui traite des pouvoirs et des contre-pouvoirs entre le législatif et l’exécutif.

Grâce à l’exécutif unitaire, avec lequel même l’ancien président Trump a flirté, la Maison-Blanche peut contourner des lois en violation de la constitution (comme autoriser la torture) et user de l’appareil administratif de l’exécutif selon son bon vouloir (comme divulguer ou non des informations sensibles).

Évidemment, il s’agit d’une tendance autocratique qui peut s’avérer dangereuse et qui diminue l’influence du pouvoir législatif dans le jeu politique américain.

Le pouvoir de l’argent

On ne peut traiter de politique américaine sans évoquer la question de l’influence de l’argent. La vaste majorité des grandes démocraties occidentales ne permettent pas les dons politiques des entreprises privées lors des élections afin d’éviter collusion et corruption. Toutefois, au pays de l’ultracapitalisme, le privilège de promouvoir ses intérêts avec son argent est considéré comme un droit fondamental. Un phénomène qui s’est accentué avec l’avènement des Super PAC à la suite d’un jugement de la Cour suprême en 2010.

Devant cette réalité dans laquelle les élus sont tributaires du financement privé favorisant le lobbying et les portes tournantes, nous sommes en droit de nous demander combien de lois essentielles au bien commun ont été reléguées aux oubliettes et combien d’autres lois favorables à de grandes entreprises richissimes ou à des organisations d’intérêts aux coffres bien garnis furent entérinées sous la houlette de ce type de financement plutôt antidémocratique.

La participation électorale

Parlons aussi du taux de participation famélique lors des élections américaines. Il est l’un des plus faibles de tous les pays occidentaux (ce qui se veut plutôt contradictoire pour la première démocratie libérale de l’histoire qui se considère comme un phare de liberté et de justice dans le monde). Bien plus élevé dans le passé, il s’est mis à décliner depuis les années 70 (voir ce lien). La montée du conservatisme et de l’individualisme, combinée à la méfiance envers l’État fédéral peuvent expliquer en partie ce phénomène de désengagement politique des citoyens américains.

Toutefois, l’élection présidentielle de 2020 ainsi que les autres élections fédérales qui se sont déroulées simultanément marquent une rupture avec le taux de participation à la baisse chez les électeurs américains depuis un demi-siècle. Dans la foulée de la présidence de Donald Trump, plusieurs groupes minoritaires et progressistes de la société américaine ont voulu s’assurer qu’il ne séjourne plus à la Maison-Blanche pour un autre mandat. Ainsi, le vote des Afro-Américains et des Latino-Américains a contribué à l’amélioration de la fréquentation des urnes lors de ces élections fédérales.

Mais il n’en fallait pas plus pour que les élus républicains, répartis à travers les différentes enceintes parlementaires de nombreux États du pays, prennent les moyens pour s’assurer qu’un tel scénario ne se reproduise plus. Différents projets de loi, plus de 300 en fait, dans plusieurs États du pays (notamment en Floride, en Géorgie et en Iowa), complexifiant encore plus le droit de vote au bureau de scrutin, par correspondance ou anticipation, ont été proposés tout de suite après les résultats de l’élection présidentielle sous le prétexte de prévenir la fraude électorale massive dont le président Trump alléguait être victime (ce qui a été démenti officiellement, nous le savons, faute de preuve).

Le délitement de la démocratie

Nous avons aussi assisté, particulièrement depuis la présidence de Ronald Reagan, à un affaiblissement de la tradition démocratique aux États-Unis qui a culminé avec l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021. En parallèle, pendant la même période, les inégalités socioéconomiques se sont accentuées (encore plus en cette période de pandémie) avec des politiques économiques néolibérales nuisant à la syndicalisation des travailleurs en combinaison avec l’application de théories dites de « ruissellement » qui ont diminué la contribution fiscale des plus nantis et des grandes entreprises aux coffres de l’État tout en sabrant allègrement les services publics.

Le fossé entre les classes sociales s’est accentué et l’ascendance de l’argent et du monde des affaires sur la vie politique américaine contemporaine s’est raffermie avec comme ultime conséquence l’avènement d’une radicalisation extrême vers la droite du parti républicain et d’un populisme fascisant tel que nous l’avons connu avec Donald Trump à la présidence. Une dérive du parti républicain vers l’autoritarisme et le culte du chef qui se confirme davantage avec les purges qui ont eu lieu parmi les élus prodémocratie de ce parti qui s’opposaient à la remise en cause de la validité des résultats de l’élection présidentielle, au grand dam de l’ex-président.

Tout cela se déroule sur une toile de fond d’une crise des médias suscitée par l’avènement de l’Internet qui a amené une dynamique de concentration des médias et de réduction des sources d’information fiables très dangereuse pour la santé de la démocratie. Et depuis 2016, cette crise a été exacerbée par une polarisation extrême de la société américaine avec la propagation de fausses nouvelles et la présence de « chambres d’échos » sur les réseaux sociaux suscitant une remise en question de la crédibilité de la profession journalistique, souvent infondée.

Une lueur d’espoir

La tentation est forte de se résigner devant la somme de ces défauts de la démocratie américaine qui ne semblent pas se corriger.

Cependant, la nouvelle administration du président Biden semble déterminer à réformer le régime démocratique américain avec le « For The People Act », un projet de loi qui atténuerait le pouvoir de l’argent dans la politique américaine et qui vise à élargir le droit de vote mis à mal par les républicains en combattant expressément les nombreuses tactiques de suppression de votes énumérées ci-haut.

Approuvée par la Chambre des représentants, cette loi quasi révolutionnaire reste à être votée au Sénat, qui bien qu’étant sous une mince majorité démocrate, risque de la rejeter avec une obstruction parlementaire institutionnalisée, appelée filibuster, favorisant ici la minorité républicaine.

Des tractations auraient actuellement lieu dans le but de contourner cette obstruction parlementaire afin d’initier cette revitalisation essentielle de la démocratie américaine portée par ce projet de loi, mais il est probable que des sénateurs démocrates plus conservateurs s’y opposent et la fassent échouer en raison de la majorité de seulement un siège des démocrates au Sénat (il n’existe pas de ligne de parti rigide aux États-Unis, même si le niveau de polarisation entre les deux grands partis ne cesse de s’accentuer).

En somme, chacun des principaux partis politiques cherche, soit à élargir le nombre de personnes capables de voter ou au contraire limiter ce nombre en instituant encore plus de méthodes de suppression de votes, tout ça afin de s’assurer de remporter le plus de sièges possibles et la présidence du pays dans l’avenir.

Mais il n’y a pas qu’un seul moyen de réformer la politique. Le front économique est tout aussi vital à la bonne santé démocratique. En effet, en supportant financièrement les familles et les travailleurs à faible revenu, il devient plus facile pour ses derniers de s’impliquer dans le débat politique, ou du moins d’avoir plus le temps de s’informer ou d’en comprendre les enjeux au lieu d’essayer de se maintenir la tête hors de l’eau monétairement en occupant plusieurs emplois simultanément. C’est ainsi que l’administration Biden a opté pour une politique économique keynésienne d’investissement massif dans l’économie (un peu semblable à ce qu’on a pu voir dans les années 30 avec le New Deal de Roosevelt), comportant un premier plan d’aide de 1900 milliards favorisant en grande partie les moins nantis dans les domaines de la garde des enfants, les soins aux aînés et aux handicapés. Ensuite, ce gouvernement propose l’adoption d’un second plan de réfection des infrastructures de 2000 milliards afin de stimuler la création d’emplois de qualité et de mettre à niveau les écoles, les collèges communautaires, le logement social et les garderies. Enfin, un troisième plan de soutien aux familles de 1800 milliards sur 10 ans financé en partie par la lutte à l’évasion fiscale vise à investir dans l’éducation publique et améliorer les soins de santé, notamment des enfants (nous savons que les coûts de santé sont très importants pour les individus aux États-Unis).

Également, le gouvernement prévoit augmenter le salaire minimum à 15$ l’heure pour les sous-traitants faisant affaire avec le fédéral.

Impensable il y a quelques années, l’idée de taxer davantage les revenus et gains en capital des plus riches (comme Roosevelt l’avait fait après la Grande Dépression) et les bénéfices des multinationales indépendamment de la localisation de leurs sièges sociaux dans le monde fait du chemin à Washington (et aussi chez ses partenaires européens). On désire évidemment répartir plus équitablement les richesses après des décennies de laisser-aller. Au niveau national, Biden prévoit augmenter les impôts des grandes sociétés de 21 à 28 %. Il faut savoir que contrairement à la réforme électorale, les budgets ou les plans d’aide économique ne sont pas soumis à une quelconque règle d’obstruction parlementaire.

En conclusion

Alexis de Tocqueville, auteur bien connu « De la démocratie en Amérique », définissait la démocratie plus par la simple égalité politique et la liberté de s’enrichir que par l’égalité des chances et la répartition plus juste des richesses. Voilà bien une définition propre au 19e siècle. À notre époque, on constate que la démocratie ne se limite pas exclusivement à l’exercice de sa liberté ou de son droit de vote. Il existe aussi une démocratie économique qui est intimement liée à la démocratie politique. Elle intègre les conditions socioéconomiques qui déterminent la véritable égalité politique entre les individus et qui est un ingrédient essentiel à une véritable démocratie.

Une population appauvrie détenant un faible niveau d’éducation ne peut pas faire de bons choix même si elle possède le droit de vote. Le soutien de l’État devient indispensable pour niveler vers le haut les conditions d’existence de tout un chacun afin de rehausser la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux du plus grand nombre favorisant de meilleurs choix politiques dans l’urne. De cette façon, avec des électeurs plus éclairés et possédant un niveau de vie adéquat les sortant de la pauvreté, l’accession au pouvoir d’un populiste aux tendances despotiques devient moins probable et la mainmise de certains groupes d’individus aux intérêts parfois incompatibles avec ceux de la société s’en trouve amoindrie.

Il ne fait aucun doute que cette démocratie inachevée est à un moment tournant après plus de 200 ans de cheminement tortueux, d’avancées et de reculs qui nous démontrent que la lutte pour la démocratie n’est jamais terminée…

Des Américains noirs… de colère

Même s’il y en a eu bien d’autres auparavant, le meurtre particulièrement odieux de George Floyd par l’agent Derek Chauvin largement diffusé sur les réseaux sociaux dans un pays transcendé depuis sa fondation par la problématique raciale et les iniquités sociales et économiques a littéralement embrasé les feux de l’indignation et de la colère de la communauté noire et de tous ceux luttant pour la fin de la discrimination raciale.

La preuve est accablante et le geste révoltant.  Même les plus fervents républicains hésitent à commenter tellement les faits parlent d’eux-mêmes.

Cette discrimination raciale, que certains qualifient de trait systémique de la société américaine, trouve son origine au débarquement des premiers esclaves noirs africains par des Néerlandais sur le sol des premières colonies britanniques en Amérique du Nord vers l’an 1619. Cette main-d’œuvre peu coûteuse contribua à l’implantation sur le territoire des premières colonies anglaises dans les conditions de vie difficiles de l’époque. Son apport à la construction de ce nouveau pays en gestation est sans équivoque.

Malgré l’émancipation des esclaves en 1865, leur nouvelle liberté n’étant pas appuyée par une élévation de leur niveau de vie, plusieurs retournèrent au service de leurs anciens maîtres et d’autres émigrèrent vers le nord dans l’espoir d’améliorer leur sort.  Mais, force est de constater que les Afro-Américains n’ont jamais atteint un statut socio-économique comparable à celui des blancs, même après plus d’un siècle et demi de liberté théorique.  Encore aujourd’hui, le salarié noir gagne en moyenne moins que le salarié blanc pour un travail comparable et le taux d’incarcération des noirs est de beaucoup supérieur à celui de la population blanche.

Depuis l’événement, les manifestations en général pacifiques, mais parfois violentes, ayant eu lieu d’un bout à l’autre des États-Unis, ont donné comme résultat l’arrestation des quatre policiers impliqués dans l’assassinat filmé de Georges Floyd, ce qui fut suffisant pour calmer l’agitation populaire.

Néanmoins, cette contestation est encore loin de son dénouement. Il reste à entendre le verdict du procès qui aura possiblement lieu dans plusieurs mois en pleine période d’élection présidentielle.  Leur acquittement ou leur condamnation déterminera la suite des événements dans cette triste histoire, soit une recrudescence de la violence dans les rues lors de l’une des campagnes électorales les plus tendues de l’histoire américaine, soit un changement de paradigme sur la problématique raciale qui se fait depuis si longtemps attendre aux États-Unis…

Dichotomie de foi

L’encyclique « inattendue » sur l’environnement du Pape François a fustigé les milieux ultraconservateurs américains pourtant très croyants et pourfendeurs avérés de la thèse du rôle de l’activité humaine dans le réchauffement climatique.  Même un journaliste de Fox News (Greg Gutfeld), chaine d’extrême droite aux États-Unis, a affublé le Pape du qualificatif d’«homme le plus dangereux de la planète».

L’évêque de Rome dénonce l’égoïsme des puissants employant les carburants fossiles pour engranger plus de richesses – tandis que les plus pauvres de la planète subissent les contrecoups de la hausse des températures –  et qui se complaisent dans leur inaction en évoquant l’implacable diktat du marché.  Le Pape François appelle ainsi à un changement de paradigmes économique, social et écologique afin d’assurer l’avenir d’un monde qui se détériore rapidement.

Le plus paradoxal est de constater une véritable dichotomie de foi entre un représentant divin sur terre naviguant habituellement dans l’intangible qui se réfère à des données scientifiques probantes pour étayer son discours écologique et des fondamentalistes chrétiens acoquinés au grand capital qui accumule de nombreuses ressources financières et matérielles à l’aide d’une science et d’une technologie utiles au capitalisme tout en réfutant simultanément cette même méthodologie scientifique sur laquelle s’appuie aussi la thèse plus que certaine de la causalité humaine dans le réchauffement climatique…