Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 18 avril 2023 et dans Le Devoir, le 21 avril 2023
Twitter a étiqueté CBC, le pendant anglophone de Radio-Canada, comme média financé par un gouvernement, au même titre que des médias d’information de pays au régime autoritaire tels que la Russie ou la Chine, comme si, aux yeux du nouveau propriétaire de Twitter, tout média financé par le public est nécessairement partial, propagandiste et porteur de désinformation.
Ce réseau social passe sciemment sous silence le fait qu’une entreprise d’information publique comme CBC/Radio-Canada (reconnue d’ailleurs mondialement) rehausse la qualité de l’information au pays avec des émissions aux contenus culturels, des enquêtes et de grands reportages à l’étranger, tandis que le privé a tendance à aller au plus petit dénominateur commun avec des émissions de téléréalité insipides et une programmation souvent empreinte de sensationnalisme pour gonfler les cotes d’écoute.
De plus, en quoi un média d’information privé aurait-il plus le monopole de la vertu journalistique ? Souvent chapeautés par de grands conglomérats, les médias privés doivent répondre à des impératifs de rentabilité, fréquemment au détriment de l’objectivité de leurs journalistes, qui s’imposent eux-mêmes une censure de peur de contrevenir à l’idéologie politique des propriétaires de ces médias, quitte à propager de la fausse information afin de leur plaire (pensons à Fox News, aux États-Unis, qui a présentement des démêlés avec la justice pour une affaire de désinformation liée à la dernière élection présidentielle).
Twitter n’est pas à sa première fronde contre les médias d’information. Il a déjà suspendu des comptes de journalistes et a appliqué le même qualificatif « affilié à un État » à des médias américains et britanniques publics ou semi-publics pourtant renommés pour la qualité de l’information, tout comme CBC. De manière plus inquiétante, le réseau social a même réintégré des comptes autrefois suspendus pour des cas patents de désinformation et de propos d’extrême droite.
Le nouveau patron de Twitter proclame haut et fort vouloir protéger la liberté d’expression, mais agit dans les faits de façon contradictoire et même contraire aux valeurs démocratiques sous-jacentes à ladite liberté d’expression.
Cet article a été publié dans Le ZigZag, La voix des citoyens, le 31 mars 2023
Plusieurs inquiétudes ont été révélées dernièrement par la demande de plusieurs personnalités et experts en intelligence artificielle.
Ils ne demandent, ni plus ni moins, qu’un moratoire sur le développement de l’intelligence artificielle, bien que l’on sache pertinemment que cela est totalement utopique, car rien ne garantit qu’une entreprise ou un pays ne développe en secret cette technologie.
Alors, l’intelligence artificielle est là pour rester et, en ce moment, nous ne pouvons qu’apercevoir les conséquences du développement de cette technologie sur le fonctionnement de la société.
Plusieurs emplois, surtout dans le domaine des services (privés et publics), pourront être remplacés par une intelligence artificielle – ce qui dans une période de pénurie de main-d’œuvre semble bénéfique.
Toutefois, devant le développement rapide de cette technologie, où est-ce que les employeurs s’arrêteront-ils de couper dans les coûts de main-d’œuvre (constituant la plus grande partie des dépenses dans une entreprise)? La tentation sera forte pour pousser à fond cette tendance qui bouleversera indéniablement le monde du travail et qui sait, dans quelques décennies, une intelligence artificielle combinée avec une interface robotique pourrait aussi pousser au chômage des travailleurs manuels.
En somme, c’est l’ensemble de la structure économique qui risque d’être ébranlée. Le travail, qui est le moteur de la consommation et donc d’une prospérité économique à saveur capitaliste, risque d’être relégué au second rang face à une nouvelle main-d’œuvre artificielle remplaçant les humains dans l’activité économique. On ne peut qu’imaginer les bouleversements sociaux qui adviendront possiblement par la suite…
Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 5 novembre 2022
Elon Musk, le grand défenseur autoproclamé de la liberté d’expression, nous le savons tous, vient d’acheter Twitter pour cette noble cause, affirme-t-il.
Par Duncan.Hull — Debbie Rowe, Photographer
Mais est-ce que le fait de congédier plus de 3 500 employés de cette entreprise, qui pourraient le contredire une fois de temps en temps, ne mine pas la liberté d’expression? Le nouveau roi de Twitter mènera désormais seul la barque de ce navire et peu des employés restants oseront le contester sur la moindre de ses décisions.
Et dans une vision plus globale, est-ce qu’il est sain qu’un seul homme ait un contrôle total sur un média s’étendant à la grandeur de la planète? On pourrait facilement faire un parallèle avec la concentration de la propriété des médias d’information plus traditionnels.
Enfin, sa volonté de charger des frais sur son réseau social ne va pas aussi à l’encontre de la liberté d’expression ouverte à tout le monde? L’homme le plus riche du monde n’est pas à une contradiction près…
L’histoire contemporaine de la Russie fut mouvementée et les événements récents en Ukraine tendent encore à le démontrer. En 1917, elle se sortit des griffes du régime monarchique des Tsars avec la prise du pouvoir des bolcheviks et 72 années plus tard, après la déroute de l’expérience communiste en ce pays, la Russie tenta de copier le modèle de la démocratie libérale qui s’avéra être aussi un échec dans un pays où les mœurs démocratiques ne se sont jamais vraiment développées.
Nous le savons, Poutine règne désormais en maître en son pays depuis plus de 20 ans. Les nombreux opposants politiques sont emprisonnés, voire pire. Les médias indépendants du régime ne sont qu’une vue de l’esprit, encore plus depuis la guerre en Ukraine. Poutine déclare même sans ambages que son pays s’aligne maintenant dans l’axe des pays autocratiques qui sont opposés à la démocratie occidentale (dans lequel figure aussi la Chine).
Dans la foulée, le pays du Grand Ours sombre de plus en plus vers l’ultraconservatisme aux accents nationalistes avec l’adoption de nouveaux amendements à la Constitution russe interdisant le mariage homosexuel et privilégiant l’enseignement patriotique à l’école, entre autres. Par ailleurs, il existe même un parc d’attractions familial consacré à la glorification de l’armée russe — ce qui aurait fait pâlir de jalousie les plus fervents partisans du national-socialisme de l’Allemagne du Troisième Reich.
De plus, la Russie, tout comme son adversaire naturel, les États-Unis, n’est pas à une contradiction près. Elle délaissa un régime communiste pour se vouer corps et âme au capitalisme en moins d’une génération, tout en reproduisant les pires travers de ce système économique : les inégalités en Russie sont parmi les plus criantes du G20, l’impôt sur le revenu est à taux unique (ce qui est une mesure régressive favorisant les plus riches) et le 1 % des mieux nantis, c’est-à-dire les oligarques, détient la moitié de la richesse nationale.
Cette invasion de l’Ukraine par la Russie nous révèle aussi d’autres contradictions. Le régime de Poutine, dont les tendances fascistes sont évidentes, reproduit les mêmes politiques expansionnistes d’un certain chef allemand autoritaire du XXe siècle que le peuple russe a pourtant combattu avec acharnement pendant la Deuxième Guerre mondiale. Qui plus est, le chef du Kremlin accuse fallacieusement le gouvernement ukrainien d’être d’obédience nazie pour mieux justifier une simple « opération militaire spéciale » et pour camoufler du même coup son propre autoritarisme d’extrême droite…
Les manifestations se déroulant à Ottawa nous montrent encore le spectacle de la grande méfiance, voire de la haine envers les médias, de tous ceux qui gravitent autour du complotisme – plusieurs journalistes ayant été harcelés lors de l’événement, comme ce fut aussi le cas dans plusieurs autres événements du genre.
« Les médias nous mentent », voilà le mantra de ces protestataires qui préfèrent donner toute leur confiance à des réseaux sociaux inondés de désinformation. Nous pourrions bien donner du poids à une telle assertion, mais rien de probant ne permet d’arriver à une telle conclusion.
Tout d’abord, le journalisme est un programme universitaire qu’un bon nombre de journalistes suivent et le Conseil de presse du Québec peut blâmer les inexactitudes et la démagogie de certains journalistes ou chroniqueurs.
De plus, affirmer que tous les médias du Québec, du Canada ou même du monde font partie d’un grand complot relève d’une méconnaissance profonde du milieu de l’information et de l’histoire des démocraties libérales. Au contraire des dictatures les plus implacables qui contrôlent intégralement la diffusion de l’information afin de protéger leurs régimes, notre système politique accepte la diversité des sources d’information en permettant à plusieurs acteurs médiatiques de couvrir l’information, la transmettre et aussi de l’interpréter par des analyses et des chroniques. Ainsi, le gouvernement et l’opposition peuvent se faire entendre sur diverses tribunes et ils ne contrôlent donc pas unilatéralement le flux d’information.
D’autres affirment que les médias sont « achetés » par le gouvernement. Il est un fait que les médias, écrits surtout, ont de la difficulté à rivaliser avec Google, Facebook et consorts qui grugent une grande partie de leurs anciens revenus en détournant la publicité et en diminuant leurs abonnements. Le Québec et bien d’autres gouvernements dans le monde subventionnent alors les médias d’information afin d’en préserver l’existence et permettre une multiplicité des sources d’information vitale en démocratie. Il s’agit tout de même d’un phénomène relativement récent et ce soutien gouvernemental ne constitue pas un trait historique fondamental des démocraties libérales. En fait, avant l’avènement d’internet, c’était plutôt chose rare.
Par ailleurs, il est hautement improbable qu’un complot ourdi par des groupes obscurs au niveau planétaire ait prise dans un environnement médiatique dont les acteurs peuvent être de différentes allégeances politiques (gauche ou droite) et être de propriété privée, publique ou coopérative. Inévitablement, une fuite mettant à jour la mascarade coulerait.
Enfin, il est aisé de critiquer les médias et la profession journalistique. Certes, comme toute activité humaine, il peut y avoir des dérapages et des erreurs. Cependant, la garantie d’une information aux pôles multiples, malgré ses défauts, est une assurance contre la désinformation propagée en ligne et un rempart aux forces antidémocratiques qui tentent de saper la tradition et les institutions démocratiques dans l’objectif d’obtenir le pouvoir dans un but contraire à l’intérêt collectif.
Cet article a été publié en version abrégée dans Le Soleil de Québec, le 25 mai 2021
L’accession du candidat démocrate Joe Biden à la présidence promet un retour à une tradition plus démocratique aux États-Unis après les années régressives de la présidence Trump. Mais la première démocratie libérale de l’histoire n’est pas pour autant au bout de ses peines pour rétablir les principes démocratiques fondateurs sur lesquels elle s’est instaurée. Car même avant l’avènement d’un président si peu respectueux des institutions politiques et des idéaux démocratiques, les États-Unis ne s’en trouvaient pas moins depuis leur fondation sur une pente dangereuse affaiblissant leurs assises démocratiques. Un phénomène qui se poursuit encore malheureusement aujourd’hui.
Une République blanche, masculine et ségrégationniste
Historiquement, au début de la République et même au temps de la colonie, le droit de vote était réservé exclusivement aux hommes blancs possédant un titre de propriété, ce qui revenait à dire que seulement 6 % de la population avaient effectivement le droit de voter. Comme nous le savons déjà, les Afro-Américains furent considérés comme des esclaves avant même leur débarquement sur le continent. Avec la conclusion de la guerre civile, leurs droits ont été enchâssés dans la constitution avec le 13e amendement (fin de l’esclavage), le 14e amendement (égalité des droits) et le 15e amendement (vote garanti pour tous).
En conséquence, une vingtaine d’années plus tard après la guerre civile, on a pu assister à l’élection de plusieurs élus afro-américains, surtout dans les États du Sud et du Sud-Ouest.
En réaction, une ère de violence envers les gens de couleur s’empara de ces États et on essaya par tous les moyens de contourner le 15e amendement garantissant le droit de vote des Noirs avec l’implantation des « Black codes » et de lois « Jim Crow » favorisant fortement la ségrégation. En voici quelques exemples: dans ce qu’on appela le plan du Mississippi de 1890, on instaura une « Poll taxes », c’est-à-dire une contribution financière des électeurs lors des élections sous le prétexte que le processus électoral coûte cher, ce qui élimina d’emblée une grande partie des électeurs Afro-Américains qui vivaient dans la pauvreté. Il y avait, en plus, des tests d’alphabétisation que plusieurs électeurs noirs échouaient en raison de leur faible scolarité. Une autre pratique courante était de retirer le droit de vote aux citoyens ayant un casier judiciaire alors que l’on criminalisait des Afro-Américains avec des infractions plutôt mineures comme le flânage sur la voie publique ou être sans travail.
En juxtaposition au profilage racial et au haut taux d’incarcération des Noirs qui sont monnaie courante aux États-Unis, il est facile d’estimer le nombre élevé de Noirs qui ne purent pas voter, même encore à notre époque. L’État de la Floride fut le champion en ce domaine en retirant à vie le droit de vote à tous ceux ayant un casier judiciaire jusqu’au référendum de 2018 qui a rétabli ce droit, mais seulement pour les anciens détenus.
En conséquence de toutes ces entraves, la proportion de votants noirs inscrits chuta considérablement jusqu’aux années 50 et cette situation continue d’avoir encore ses effets de nos jours en désavantageant le Parti démocrate qui récolte en général la majeure partie du vote afro-américain.
En 1965, le « Voting rights act » visait à renforcer le droit de vote des Noirs et à favoriser une meilleure représentation politique de ces derniers après les difficultés évoquées ci-haut.
La suppression du vote moderne
Depuis quelques décennies, les manœuvres visant à exclure du processus électoral, surtout dans les États dont les gouverneurs sont des républicains, les clientèles plus progressistes se tournant plutôt vers les démocrates (jeunes, étudiants, pauvres, Latino-Américains, Afro-Américains, etc.) se sont multipliées – bien qu’elles aient toujours été présentes dans l’histoire américaine.
En 2013, la Cour suprême révisa le « Voting act right », dont nous parlions plus tôt, dans la cause Shelby county vs Holder en limitant la portée de cette loi phare, près de 50 ans après son adoption. Les juges conservateurs, avec John Q. Roberts Jr, alors président de la Cour suprême des États-Unis, purent affaiblir le droit de vote dans un jugement de 5 juges contre 4. Survient alors une panoplie de stratagèmes de suppression de votes dans plusieurs États, Texas en tête, visant particulièrement les clientèles électorales démocrates: on pouvait accepter certains documents d’identification au bureau de vote, mais pas d’autres pour des raisons obscures; on fermait des bureaux de vote ou on limitait les heures d’ouverture dans certains secteurs spécifiques afin d’allonger la file d’attente et de décourager les électeurs de voter; certaines machines de votation tombaient en panne ou étaient dysfonctionnelles la journée de l’élection (surtout dans les quartiers noirs); il y avait aussi les « purges » des listes électorales qui frappaient les électeurs n’ayant pas voté aux dernières élections. Ils perdaient tout simplement leur droit de vote sans avertissements ou notifications.
De son côté, l’établissement du droit de vote des femmes se concrétisa avec le 19e amendement en 1919 après une marche sur Washington, une grève de la faim et des piquetages devant la Maison-Blanche. De nos jours, le droit de vote des femmes n’est plus contesté et bien que l’implication des femmes en politique soit plus forte, mais encore minoritaire, le plafond de verre est encore difficile à faire éclater dans certains États et même à Washington.
Le Gerrymandering
Un autre phénomène de contournement de la démocratie consiste dans la pratique du gerrymandering qui fait des ravages notamment au Texas et en Caroline du Nord, mais aussi dans beaucoup d’autres États. Cette méthode pernicieuse de découpage de la carte électorale à l’avantage unique d’un parti politique est encore bien présente au pays de l’Oncle Sam. Le parti au pouvoir dans un État peut tracer les limites des circonscriptions pratiquement à sa guise.
Avec le soutien de matériels informatiques sophistiqués et de données statistiques sur la population, il est désormais facile de délimiter des circonscriptions de manière juste assez bien balancée démographiquement pour faire élire le candidat de son choix. Par exemple, on divise un secteur à majorité afro-américaine entre trois circonscriptions à majorité blanche. Ainsi, le vote afro-américain se retrouve minoritaire dans les trois circonscriptions et aucun candidat que les Noirs favorisent dans ce secteur n’est élu. Cette pratique se retrouve surtout dans les États à gouvernance républicaine qui utilisent les instances gouvernementales de leur État pour favoriser l’élection de leurs candidats dans leur congrès local ou au niveau fédéral.
L’exécutif unitaire
Au niveau du pouvoir exécutif fédéral, il y a une tendance depuis la présidence de Bush fils et de la vice-présidence de Dick Cheney à la concentration des pouvoirs dans les mains du président. L’exécutif unitaire est un sujet de débat constitutionnel qui date du début de la République et qui traite des pouvoirs et des contre-pouvoirs entre le législatif et l’exécutif.
Grâce à l’exécutif unitaire, avec lequel même l’ancien président Trump a flirté, la Maison-Blanche peut contourner des lois en violation de la constitution (comme autoriser la torture) et user de l’appareil administratif de l’exécutif selon son bon vouloir (comme divulguer ou non des informations sensibles).
Évidemment, il s’agit d’une tendance autocratique qui peut s’avérer dangereuse et qui diminue l’influence du pouvoir législatif dans le jeu politique américain.
Le pouvoir de l’argent
On ne peut traiter de politique américaine sans évoquer la question de l’influence de l’argent. La vaste majorité des grandes démocraties occidentales ne permettent pas les dons politiques des entreprises privées lors des élections afin d’éviter collusion et corruption. Toutefois, au pays de l’ultracapitalisme, le privilège de promouvoir ses intérêts avec son argent est considéré comme un droit fondamental. Un phénomène qui s’est accentué avec l’avènement des Super PAC à la suite d’un jugement de la Cour suprême en 2010.
Devant cette réalité dans laquelle les élus sont tributaires du financement privé favorisant le lobbying et les portes tournantes, nous sommes en droit de nous demander combien de lois essentielles au bien commun ont été reléguées aux oubliettes et combien d’autres lois favorables à de grandes entreprises richissimes ou à des organisations d’intérêts aux coffres bien garnis furent entérinées sous la houlette de ce type de financement plutôt antidémocratique.
La participation électorale
Parlons aussi du taux de participation famélique lors des élections américaines. Il est l’un des plus faibles de tous les pays occidentaux (ce qui se veut plutôt contradictoire pour la première démocratie libérale de l’histoire qui se considère comme un phare de liberté et de justice dans le monde). Bien plus élevé dans le passé, il s’est mis à décliner depuis les années 70 (voir ce lien). La montée du conservatisme et de l’individualisme, combinée à la méfiance envers l’État fédéral peuvent expliquer en partie ce phénomène de désengagement politique des citoyens américains.
Toutefois, l’élection présidentielle de 2020 ainsi que les autres élections fédérales qui se sont déroulées simultanément marquent une rupture avec le taux de participation à la baisse chez les électeurs américains depuis un demi-siècle. Dans la foulée de la présidence de Donald Trump, plusieurs groupes minoritaires et progressistes de la société américaine ont voulu s’assurer qu’il ne séjourne plus à la Maison-Blanche pour un autre mandat. Ainsi, le vote des Afro-Américains et des Latino-Américains a contribué à l’amélioration de la fréquentation des urnes lors de ces élections fédérales.
Mais il n’en fallait pas plus pour que les élus républicains, répartis à travers les différentes enceintes parlementaires de nombreux États du pays, prennent les moyens pour s’assurer qu’un tel scénario ne se reproduise plus. Différents projets de loi, plus de 300 en fait, dans plusieurs États du pays (notamment en Floride, en Géorgie et en Iowa), complexifiant encore plus le droit de vote au bureau de scrutin, par correspondance ou anticipation, ont été proposés tout de suite après les résultats de l’élection présidentielle sous le prétexte de prévenir la fraude électorale massive dont le président Trump alléguait être victime (ce qui a été démenti officiellement, nous le savons, faute de preuve).
Le délitement de la démocratie
Nous avons aussi assisté, particulièrement depuis la présidence de Ronald Reagan, à un affaiblissement de la tradition démocratique aux États-Unis qui a culminé avec l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021. En parallèle, pendant la même période, les inégalités socioéconomiques se sont accentuées (encore plus en cette période de pandémie) avec des politiques économiques néolibérales nuisant à la syndicalisation des travailleurs en combinaison avec l’application de théories dites de « ruissellement » qui ont diminué la contribution fiscale des plus nantis et des grandes entreprises aux coffres de l’État tout en sabrant allègrement les services publics.
Le fossé entre les classes sociales s’est accentué et l’ascendance de l’argent et du monde des affaires sur la vie politique américaine contemporaine s’est raffermie avec comme ultime conséquence l’avènement d’une radicalisation extrême vers la droite du parti républicain et d’un populisme fascisant tel que nous l’avons connu avec Donald Trump à la présidence. Une dérive du parti républicain vers l’autoritarisme et le culte du chef qui se confirme davantage avec les purges qui ont eu lieu parmi les élus prodémocratie de ce parti qui s’opposaient à la remise en cause de la validité des résultats de l’élection présidentielle, au grand dam de l’ex-président.
Tout cela se déroule sur une toile de fond d’une crise des médias suscitée par l’avènement de l’Internet qui a amené une dynamique de concentration des médias et de réduction des sources d’information fiables très dangereuse pour la santé de la démocratie. Et depuis 2016, cette crise a été exacerbée par une polarisation extrême de la société américaine avec la propagation de fausses nouvelles et la présence de « chambres d’échos » sur les réseaux sociaux suscitant une remise en question de la crédibilité de la profession journalistique, souvent infondée.
Une lueur d’espoir
La tentation est forte de se résigner devant la somme de ces défauts de la démocratie américaine qui ne semblent pas se corriger.
Cependant, la nouvelle administration du président Biden semble déterminer à réformer le régime démocratique américain avec le « For The People Act », un projet de loi qui atténuerait le pouvoir de l’argent dans la politique américaine et qui vise à élargir le droit de vote mis à mal par les républicains en combattant expressément les nombreuses tactiques de suppression de votes énumérées ci-haut.
Approuvée par la Chambre des représentants, cette loi quasi révolutionnaire reste à être votée au Sénat, qui bien qu’étant sous une mince majorité démocrate, risque de la rejeter avec une obstruction parlementaire institutionnalisée, appelée filibuster, favorisant ici la minorité républicaine.
Des tractations auraient actuellement lieu dans le but de contourner cette obstruction parlementaire afin d’initier cette revitalisation essentielle de la démocratie américaine portée par ce projet de loi, mais il est probable que des sénateurs démocrates plus conservateurs s’y opposent et la fassent échouer en raison de la majorité de seulement un siège des démocrates au Sénat (il n’existe pas de ligne de parti rigide aux États-Unis, même si le niveau de polarisation entre les deux grands partis ne cesse de s’accentuer).
En somme, chacun des principaux partis politiques cherche, soit à élargir le nombre de personnes capables de voter ou au contraire limiter ce nombre en instituant encore plus de méthodes de suppression de votes, tout ça afin de s’assurer de remporter le plus de sièges possibles et la présidence du pays dans l’avenir.
Mais il n’y a pas qu’un seul moyen de réformer la politique. Le front économique est tout aussi vital à la bonne santé démocratique. En effet, en supportant financièrement les familles et les travailleurs à faible revenu, il devient plus facile pour ses derniers de s’impliquer dans le débat politique, ou du moins d’avoir plus le temps de s’informer ou d’en comprendre les enjeux au lieu d’essayer de se maintenir la tête hors de l’eau monétairement en occupant plusieurs emplois simultanément. C’est ainsi que l’administration Biden a opté pour une politique économique keynésienne d’investissement massif dans l’économie (un peu semblable à ce qu’on a pu voir dans les années 30 avec le New Deal de Roosevelt), comportant un premier plan d’aide de 1900 milliards favorisant en grande partie les moins nantis dans les domaines de la garde des enfants, les soins aux aînés et aux handicapés. Ensuite, ce gouvernement propose l’adoption d’un second plan de réfection des infrastructures de 2000 milliards afin de stimuler la création d’emplois de qualité et de mettre à niveau les écoles, les collèges communautaires, le logement social et les garderies. Enfin, un troisième plan de soutien aux familles de 1800 milliards sur 10 ans financé en partie par la lutte à l’évasion fiscale vise à investir dans l’éducation publique et améliorer les soins de santé, notamment des enfants (nous savons que les coûts de santé sont très importants pour les individus aux États-Unis).
Également, le gouvernement prévoit augmenter le salaire minimum à 15$ l’heure pour les sous-traitants faisant affaire avec le fédéral.
Impensable il y a quelques années, l’idée de taxer davantage les revenus et gains en capital des plus riches (comme Roosevelt l’avait fait après la Grande Dépression) et les bénéfices des multinationales indépendamment de la localisation de leurs sièges sociaux dans le monde fait du chemin à Washington (et aussi chez ses partenaires européens). On désire évidemment répartir plus équitablement les richesses après des décennies de laisser-aller. Au niveau national, Biden prévoit augmenter les impôts des grandes sociétés de 21 à 28 %. Il faut savoir que contrairement à la réforme électorale, les budgets ou les plans d’aide économique ne sont pas soumis à une quelconque règle d’obstruction parlementaire.
En conclusion
Alexis de Tocqueville, auteur bien connu « De la démocratie en Amérique », définissait la démocratie plus par la simple égalité politique et la liberté de s’enrichir que par l’égalité des chances et la répartition plus juste des richesses. Voilà bien une définition propre au 19e siècle. À notre époque, on constate que la démocratie ne se limite pas exclusivement à l’exercice de sa liberté ou de son droit de vote. Il existe aussi une démocratie économique qui est intimement liée à la démocratie politique. Elle intègre les conditions socioéconomiques qui déterminent la véritable égalité politique entre les individus et qui est un ingrédient essentiel à une véritable démocratie.
Une population appauvrie détenant un faible niveau d’éducation ne peut pas faire de bons choix même si elle possède le droit de vote. Le soutien de l’État devient indispensable pour niveler vers le haut les conditions d’existence de tout un chacun afin de rehausser la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux du plus grand nombre favorisant de meilleurs choix politiques dans l’urne. De cette façon, avec des électeurs plus éclairés et possédant un niveau de vie adéquat les sortant de la pauvreté, l’accession au pouvoir d’un populiste aux tendances despotiques devient moins probable et la mainmise de certains groupes d’individus aux intérêts parfois incompatibles avec ceux de la société s’en trouve amoindrie.
Il ne fait aucun doute que cette démocratie inachevée est à un moment tournant après plus de 200 ans de cheminement tortueux, d’avancées et de reculs qui nous démontrent que la lutte pour la démocratie n’est jamais terminée…
Même s’il y en a eu bien d’autres auparavant, le meurtre particulièrement odieux de George Floyd par l’agent Derek Chauvin largement diffusé sur les réseaux sociaux dans un pays transcendé depuis sa fondation par la problématique raciale et les iniquités sociales et économiques a littéralement embrasé les feux de l’indignation et de la colère de la communauté noire et de tous ceux luttant pour la fin de la discrimination raciale.
La preuve est accablante et le geste révoltant. Même les plus fervents républicains hésitent à commenter tellement les faits parlent d’eux-mêmes.
Cette discrimination raciale, que certains qualifient de trait systémique de la société américaine, trouve son origine au débarquement des premiers esclaves noirs africains par des Néerlandais sur le sol des premières colonies britanniques en Amérique du Nord vers l’an 1619. Cette main-d’œuvre peu coûteuse contribua à l’implantation sur le territoire des premières colonies anglaises dans les conditions de vie difficiles de l’époque. Son apport à la construction de ce nouveau pays en gestation est sans équivoque.
Malgré l’émancipation des esclaves en 1865, leur nouvelle liberté n’étant pas appuyée par une élévation de leur niveau de vie, plusieurs retournèrent au service de leurs anciens maîtres et d’autres émigrèrent vers le nord dans l’espoir d’améliorer leur sort. Mais, force est de constater que les Afro-Américains n’ont jamais atteint un statut socio-économique comparable à celui des blancs, même après plus d’un siècle et demi de liberté théorique. Encore aujourd’hui, le salarié noir gagne en moyenne moins que le salarié blanc pour un travail comparable et le taux d’incarcération des noirs est de beaucoup supérieur à celui de la population blanche.
Depuis l’événement, les manifestations en général pacifiques, mais parfois violentes, ayant eu lieu d’un bout à l’autre des États-Unis, ont donné comme résultat l’arrestation des quatre policiers impliqués dans l’assassinat filmé de Georges Floyd, ce qui fut suffisant pour calmer l’agitation populaire.
Néanmoins, cette contestation est encore loin de son dénouement. Il reste à entendre le verdict du procès qui aura possiblement lieu dans plusieurs mois en pleine période d’élection présidentielle. Leur acquittement ou leur condamnation déterminera la suite des événements dans cette triste histoire, soit une recrudescence de la violence dans les rues lors de l’une des campagnes électorales les plus tendues de l’histoire américaine, soit un changement de paradigme sur la problématique raciale qui se fait depuis si longtemps attendre aux États-Unis…
Cet article a été publié dans Le Devoir et le journal Métro Montréal le 18 septembre 2017
Pendant les élections, le nouveau président de la République française fut présenté comme le candidat du centre cherchant la grande concorde entre la gauche et la droite, supputant ainsi la fin des grands partis politiques et des grandes idéologies.
Le parti d’Emmanuel Macron, La République en marche!, se définit comme un parti de centre à inspiration social-libérale. Or, il n’en est rien, à voir la manière dont a été libellé le nouveau projet de loi sur la réforme du travail en France qui brisera l’équilibre toujours fragile entre patronat et syndicats en donnant l’avantage aux entreprises en ce qui a trait, notamment, aux indemnités de licenciement abusif (beaucoup moindres) et à la négociation dans les petites entreprises (plus difficile pour les syndicats).
Comme presque tous les partis de centre de notre époque, le parti de Macron n’est qu’une formation politique de droite qui s’ignore, car le centre ne constitue pas une idéologie légitime et ancrée au milieu dans le ciment du spectre politique.
En fait, le centre d’aujourd’hui n’est plus le centre d’hier. C’est le résultat de quatre décennies de propagande médiatique mur à mur encensant les préceptes de la loi du marché qui désormais sont devenus la norme acceptable en politiques publiques. En conséquence, en Occident, l’axe central du spectre politique, fluctuant de nature selon les aléas des conflits sociaux et du développement de la culture politique, s’est déplacé progressivement vers la droite, entraînant la position de centre avec lui.
On peut bien le constater en France, notamment lorsque le Parti socialiste, anciennement bien positionné à gauche, a hésité à appuyer les manifestations syndicales des derniers jours contre cette réforme du travail touchant les salariés. Sans compter qu’Emmanuel Macron est un ancien socialiste…
Les stratèges du Parti Québécois devaient se réjouir d’avoir convaincu Pierre-Karl Péladeau de se porter comme candidat de leur formation politique dans la circonscription de St-Jérôme. Ils se disent, qu’enfin, un acteur important du milieu économique viendra appuyer la cause de la souveraineté avec tout le poids médiatique de son conglomérat : officiellement, il ne siège plus sur le conseil d’administration de Québecor, mais il a refusé de liquider ses actions dans l’entreprise, et donc, de facto, il conserve une grande influence sur sa direction.
Vu comme un véritable sauveur capable de mener à bien la quête souverainiste, Pierre-Karl Péladeau n’en conserve pas moins un passé conflictuel avec le monde syndical et penche plutôt vers une vision libertarienne de l’économie qui détonne avec la tradition sociale-démocrate du Québec et même du Parti québécois.
À cet égard, au lieu d’unir le PQ sous son aile, sa présence pourrait, au contraire, susciter la division parmi les troupes (certains sociaux démocrates, excédés, pourraient quitter le navire). Ou c’est peut-être ce que Pauline Marois désire dans la foulée des révélations de la Commission Charbonneau : détacher les anciens liens avec les syndicats et tenter de séduire les électeurs plus à droite avec le recrutement de l’un des plus importants hommes d’affaires de la province aux méthodes plutôt expéditives en relations de travail… ce qui n’augure rien de bon pour les employés de l’État.
Le PQ, selon certains, vient de pactiser avec le diable et il devra en payer le prix si son virage à droite ainsi annoncé engendre un conflit social larvé entre les tenants de la social-démocratie et les partisans d’un désengagement du gouvernement de la vie des citoyens conforme à la conception libertarienne de l’État et de la société. Ainsi, à défaut d’unir le Québec dans la marche pour l’indépendance, Péladeau le divisera encore plus au grand plaisir des opposants fédéralistes.
Et, en admettant une victoire du PQ aux élections, quel genre de message ceci lancera-t-il aux pourfendeurs de la corruption et de la collusion affligeant les Québécois lorsque l’ancien président toujours propriétaire prédominant de l’une des plus grandes sociétés médiatiques du Québec vient de joindre l’équipe ministérielle? On ne peut que faire le parallèle avec le cas Silvio Berlusconi, autre grand prince des médias en Italie et ancien président de ce pays, dans lequel le règne fut marqué de corruption flagrante, de fraudes fiscales et électorales… ce qui nous prouve que pouvoir politique et concentration des médias sont toujours néfastes à la démocratie.
Pour plusieurs souverainistes, l’indépendance est louable et nécessaire… mais pas au prix de remettre les clés de la province ainsi que son avenir à un affairiste milliardaire très éloigné des préoccupations des gens ordinaires et qui n’entrevoit que le profit comme finalité ultime de la société.
L’humanité est à la dérive et personne n’ose sortir la tête du sable.
Les croyances religieuses des communautés pastorales d’antan ont cédé le pas à une nouvelle divinité contemporaine: le marché.
Le genre humain ne pouvant se passer d’idéalisme, la main divine a été remplacée par la « main invisible » du libre marché – comme s’il ne pouvait décider de sa propre destinée sans appeler à des forces intangibles.
Tel un nouveau prosélytisme – cette fois-ci économique -, les prêtres de la nouvelle idole répandirent la bonne nouvelle à un point tel que tout un chacun de part et d’autre de la planète finirent par s’agenouiller devant l’autel du productivisme capitaliste.
En conséquence, de nos jours, cette nouvelle confession consumériste acceptée comme dominante empiète désormais sur l’écosystème global et menace la pérennité même de l’humanité.
Ainsi, les ressources s’épuisent, de nombreuses espèces animales et végétales sont en voie de disparition, le climat planétaire se dérègle, la pollution de la biosphère atteint des sommets inquiétants – générant de plus en plus de cancers et de maladies.
Au niveau social, les écarts de revenus et les iniquités économiques s’accentuent.
Les tensions géopolitiques, suscitées par les velléités d’accaparation de ressources naturelles par les nations, pouvant dégénérer en conflits régionaux ou mondiaux, se multiplient proportionnellement à la raréfaction de celles-ci.
Cependant, tout semble être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les médias corporatistes se taisent devant de telles évidences et nous proposent des émissions insipides et futiles nous détournant des véritables enjeux.
Le monde a pourtant besoin de planification afin de faire face aux défis de demain.
Mais, nous nous fiions toujours sur la « main invisible » – en pure pensée magique -, censée tout contrôler et qui réglera tous nos problèmes.
Pourtant, le sacro-saint marché a maintes fois montré ses limites.
La crise financière de 2008 – dont on ressent encore les secousses -, les prix élevés de l’alimentation et du pétrole et les oligopoles antinomiques à la libre concurrence travestissant les lois du marché sont autant de preuves de la faillite du nouveau dogme mercantiliste.
Semblable à un navire sans boussole, la course de la race humaine risque de s’échouer sur les rivages toujours renouvelés de l’histoire…
Niveau de difficulté de texte selon Scolarius d’Influence Communication : 168 (universitaire)