Musk et la liberté d’expression 

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 5 novembre 2022

Elon Musk, le grand défenseur autoproclamé de la liberté d’expression, nous le savons tous, vient d’acheter Twitter pour cette noble cause, affirme-t-il.

Par Duncan.Hull — Debbie Rowe, Photographer

Mais est-ce que le fait de congédier plus de 3 500 employés de cette entreprise, qui pourraient le contredire une fois de temps en temps, ne mine pas la liberté d’expression?  Le nouveau roi de Twitter mènera désormais seul la barque de ce navire et peu des employés restants oseront le contester sur la moindre de ses décisions. 

Et dans une vision plus globale, est-ce qu’il est sain qu’un seul homme ait un contrôle total sur un média s’étendant à la grandeur de la planète?  On pourrait facilement faire un parallèle avec la concentration de la propriété  des médias d’information plus traditionnels. 

Enfin, sa volonté de charger des frais sur son réseau social ne va pas aussi à l’encontre de la liberté d’expression ouverte à tout le monde?  L’homme le plus riche du monde n’est pas à une contradiction près…

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La femme, l’Iran et les États-Unis

Cet article a été publié le 17 octobre 2022 dans Le Devoir et le 18 octobre 2022 dans Le Soleil de Québec

L’Iran et les États-Unis. Deux pays que l’on penserait diamétralement opposés, mais qui ont plus de ressemblances qu’on ne le croit ces derniers temps. Autant les Américaines que les Iraniennes sont contraintes de mener un combat pour le respect de leurs droits fondamentaux.

Au pays de l’Oncle Sam, où le principe de liberté est pourtant galvaudé et érigé en valeur fondamentale, on assiste depuis l’avènement de la présidence de Donald Trump à un recul du droit à l’avortement et on envisage que d’autres droits considérés comme acquis seront bafoués avec une Cour suprême positionnée résolument à droite par les nominations de juges de l’ex-président républicain.

Et, en Iran, la République islamique, qui a écrasé toute velléité d’émancipation de la femme avec sa révolution de 1979, semble vaciller sous de nombreuses manifestations contre le régime, durement réprimées par les autorités, qui ont pour origine la mort d’une jeune femme survenue à la suite de son arrestation par la police iranienne pour une infraction mineure au code vestimentaire islamique.

Les femmes de ces deux nations se retrouvent à présent à un moment historique crucial. Les Américaines doivent voter en masse lors des prochaines élections de mi-mandat afin de renverser la vapeur sur l’étiolement de leur liberté et du choix de décider de ce qu’elles font de leur corps. De leurcôté, les Iraniennes vont poursuivre la lutte courageusement pour sortir du carcan patriarcal des ayatollahs, qui dure depuis plus de quarante ans.

Les Américaines devraient s’inspirer de la lutte des Iraniennes afin d’éviter qu’une régression plus marquée de leurs droits ne se produise aux États-Unis. C’est dans quelques semaines, lors de ces élections de mi-mandat, que se décidera le chemin qu’empruntera le peuple américain. Un faible taux de participation des femmes ferait oeuvre de leur approbation à l’accès restreint à l’avortement et concrétiserait la mainmise pour des décennies de la religion et du Parti républicain sur les institutions politiques américaines. Et alors un retour en arrière s’avérerait très difficile, sauf peut-être au prix de manifestations sanglantes comme celles que l’on connaît actuellement en Iran…

Suprême inconséquence

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 8 juillet 2022 et de manière écourtée dans Le Devoir, le 6 juillet 2022

Photo by Jesse Collins on Unsplash

Il est rare dans l’histoire politique américaine qu’un président d’un unique mandat et, qui plus est, des plus controversés de tous les temps ne laisse autant son empreinte que Donald Trump. Les répercussions des deux récents jugements d’une Cour suprême dont il a contribué au remodelage avec les nominations de trois juges ultraconservateurs en son sein se feront sentir pendant longtemps.  

Ainsi, avec des décisions en porte-à-faux avec l’opinion publique, la Cour suprême des États-Unis a signé l’annulation de l’arrêt pro-avortement Roe v. Wade que pourtant 70% des Américains appuient selon un sondage de mai 2022. Et dans un autre jugement impliquant l’industrie du charbon, la Cour limite grandement le pouvoir de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) de réglementer les émissions de gaz à effet de serre même si encore une vaste majorité des Américains (72%) considèrent les changements climatiques comme un réel problème selon un sondage de l’Université Yale en 2021.

Il est alors facile de constater que l’influence d’un certain monde des affaires avide de profits et de groupes de pression religieux vient d’atteindre un nouveau sommet dans les institutions politiques américaines. Le pouvoir judiciaire, la Cour suprême, qui se doit pourtant de refléter la société dont elle est issue en interprétant les lois selon les préoccupations et les enjeux contemporains, n’est plus un instrument de progrès et de stabilité comme elle le fut jadis. Force est de constater qu’elle devient progressivement un simple organe idéologique et dogmatique de certaines minorités influentes dont les intérêts vont à l’encontre de la volonté de la majorité en violation du principe de séparation des pouvoirs si cher aux Pères fondateurs.  Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que son prestige et sa crédibilité décroîssent de plus en plus selon ce qu’indiquent d’autres récents coups de sonde. 

Finalement, il est intéressant de pointer du doigt le caractère contradictoire et l’inconséquence de ces deux jugements de la Cour suprême américaine concernant l’avortement et les gaz à effet de serre. De l’un, on cherche à protéger la vie à tout prix, mais de l’autre, on prend des mesures anti-environnementales qui polluent l’atmosphère des générations futures et qui fragilisent plus que jamais la pérennité de la vie humaine sur Terre en contribuant à la crise climatique…  

Une démocratie inachevée

Cet article a été publié en version abrégée dans Le Soleil de Québec, le 25 mai 2021

L’accession du candidat démocrate Joe Biden à la présidence promet un retour à une tradition plus démocratique aux États-Unis après les années régressives de la présidence Trump. Mais la première démocratie libérale de l’histoire n’est pas pour autant au bout de ses peines pour rétablir les principes démocratiques fondateurs sur lesquels elle s’est instaurée. Car même avant l’avènement d’un président si peu respectueux des institutions politiques et des idéaux démocratiques, les États-Unis ne s’en trouvaient pas moins depuis leur fondation sur une pente dangereuse affaiblissant leurs assises démocratiques. Un phénomène qui se poursuit encore malheureusement aujourd’hui.

Une République blanche, masculine et ségrégationniste

Historiquement, au début de la République et même au temps de la colonie, le droit de vote était réservé exclusivement aux hommes blancs possédant un titre de propriété, ce qui revenait à dire que seulement 6 % de la population avaient effectivement le droit de voter. Comme nous le savons déjà, les Afro-Américains furent considérés comme des esclaves avant même leur débarquement sur le continent. Avec la conclusion de la guerre civile, leurs droits ont été enchâssés dans la constitution avec le 13e amendement (fin de l’esclavage), le 14e amendement (égalité des droits) et le 15e amendement (vote garanti pour tous).

En conséquence, une vingtaine d’années plus tard après la guerre civile, on a pu assister à l’élection de plusieurs élus afro-américains, surtout dans les États du Sud et du Sud-Ouest.

En réaction, une ère de violence envers les gens de couleur s’empara de ces États et on essaya par tous les moyens de contourner le 15e amendement garantissant le droit de vote des Noirs avec l’implantation des « Black codes » et de lois « Jim Crow » favorisant fortement la ségrégation. En voici quelques exemples: dans ce qu’on appela le plan du Mississippi de 1890, on instaura une « Poll taxes », c’est-à-dire une contribution financière des électeurs lors des élections sous le prétexte que le processus électoral coûte cher, ce qui élimina d’emblée une grande partie des électeurs Afro-Américains qui vivaient dans la pauvreté. Il y avait, en plus, des tests d’alphabétisation que plusieurs électeurs noirs échouaient en raison de leur faible scolarité. Une autre pratique courante était de retirer le droit de vote aux citoyens ayant un casier judiciaire alors que l’on criminalisait des Afro-Américains avec des infractions plutôt mineures comme le flânage sur la voie publique ou être sans travail.

En juxtaposition au profilage racial et au haut taux d’incarcération des Noirs qui sont monnaie courante aux États-Unis, il est facile d’estimer le nombre élevé de Noirs qui ne purent pas voter, même encore à notre époque. L’État de la Floride fut le champion en ce domaine en retirant à vie le droit de vote à tous ceux ayant un casier judiciaire jusqu’au référendum de 2018 qui a rétabli ce droit, mais seulement pour les anciens détenus.

En conséquence de toutes ces entraves, la proportion de votants noirs inscrits chuta considérablement jusqu’aux années 50 et cette situation continue d’avoir encore ses effets de nos jours en désavantageant le Parti démocrate qui récolte en général la majeure partie du vote afro-américain.

En 1965, le « Voting rights act » visait à renforcer le droit de vote des Noirs et à favoriser une meilleure représentation politique de ces derniers après les difficultés évoquées ci-haut.

La suppression du vote moderne

Depuis quelques décennies, les manœuvres visant à exclure du processus électoral, surtout dans les États dont les gouverneurs sont des républicains, les clientèles plus progressistes se tournant plutôt vers les démocrates (jeunes, étudiants, pauvres, Latino-Américains, Afro-Américains, etc.) se sont multipliées – bien qu’elles aient toujours été présentes dans l’histoire américaine.

En 2013, la Cour suprême révisa le « Voting act right », dont nous parlions plus tôt, dans la cause Shelby county vs Holder en limitant la portée de cette loi phare, près de 50 ans après son adoption. Les juges conservateurs, avec John Q. Roberts Jr, alors président de la Cour suprême des États-Unis, purent affaiblir le droit de vote dans un jugement de 5 juges contre 4. Survient alors une panoplie de stratagèmes de suppression de votes dans plusieurs États, Texas en tête, visant particulièrement les clientèles électorales démocrates: on pouvait accepter certains documents d’identification au bureau de vote, mais pas d’autres pour des raisons obscures; on fermait des bureaux de vote ou on limitait les heures d’ouverture dans certains secteurs spécifiques afin d’allonger la file d’attente et de décourager les électeurs de voter; certaines machines de votation tombaient en panne ou étaient dysfonctionnelles la journée de l’élection (surtout dans les quartiers noirs); il y avait aussi les « purges » des listes électorales qui frappaient les électeurs n’ayant pas voté aux dernières élections. Ils perdaient tout simplement leur droit de vote sans avertissements ou notifications.

De son côté, l’établissement du droit de vote des femmes se concrétisa avec le 19e amendement en 1919 après une marche sur Washington, une grève de la faim et des piquetages devant la Maison-Blanche. De nos jours, le droit de vote des femmes n’est plus contesté et bien que l’implication des femmes en politique soit plus forte, mais encore minoritaire, le plafond de verre est encore difficile à faire éclater dans certains États et même à Washington.

Le Gerrymandering

Un autre phénomène de contournement de la démocratie consiste dans la pratique du gerrymandering qui fait des ravages notamment au Texas et en Caroline du Nord, mais aussi dans beaucoup d’autres États. Cette méthode pernicieuse de découpage de la carte électorale à l’avantage unique d’un parti politique est encore bien présente au pays de l’Oncle Sam. Le parti au pouvoir dans un État peut tracer les limites des circonscriptions pratiquement à sa guise.

Avec le soutien de matériels informatiques sophistiqués et de données statistiques sur la population, il est désormais facile de délimiter des circonscriptions de manière juste assez bien balancée démographiquement pour faire élire le candidat de son choix. Par exemple, on divise un secteur à majorité afro-américaine entre trois circonscriptions à majorité blanche. Ainsi, le vote afro-américain se retrouve minoritaire dans les trois circonscriptions et aucun candidat que les Noirs favorisent dans ce secteur n’est élu. Cette pratique se retrouve surtout dans les États à gouvernance républicaine qui utilisent les instances gouvernementales de leur État pour favoriser l’élection de leurs candidats dans leur congrès local ou au niveau fédéral.

L’exécutif unitaire

Au niveau du pouvoir exécutif fédéral, il y a une tendance depuis la présidence de Bush fils et de la vice-présidence de Dick Cheney à la concentration des pouvoirs dans les mains du président. L’exécutif unitaire est un sujet de débat constitutionnel qui date du début de la République et qui traite des pouvoirs et des contre-pouvoirs entre le législatif et l’exécutif.

Grâce à l’exécutif unitaire, avec lequel même l’ancien président Trump a flirté, la Maison-Blanche peut contourner des lois en violation de la constitution (comme autoriser la torture) et user de l’appareil administratif de l’exécutif selon son bon vouloir (comme divulguer ou non des informations sensibles).

Évidemment, il s’agit d’une tendance autocratique qui peut s’avérer dangereuse et qui diminue l’influence du pouvoir législatif dans le jeu politique américain.

Le pouvoir de l’argent

On ne peut traiter de politique américaine sans évoquer la question de l’influence de l’argent. La vaste majorité des grandes démocraties occidentales ne permettent pas les dons politiques des entreprises privées lors des élections afin d’éviter collusion et corruption. Toutefois, au pays de l’ultracapitalisme, le privilège de promouvoir ses intérêts avec son argent est considéré comme un droit fondamental. Un phénomène qui s’est accentué avec l’avènement des Super PAC à la suite d’un jugement de la Cour suprême en 2010.

Devant cette réalité dans laquelle les élus sont tributaires du financement privé favorisant le lobbying et les portes tournantes, nous sommes en droit de nous demander combien de lois essentielles au bien commun ont été reléguées aux oubliettes et combien d’autres lois favorables à de grandes entreprises richissimes ou à des organisations d’intérêts aux coffres bien garnis furent entérinées sous la houlette de ce type de financement plutôt antidémocratique.

La participation électorale

Parlons aussi du taux de participation famélique lors des élections américaines. Il est l’un des plus faibles de tous les pays occidentaux (ce qui se veut plutôt contradictoire pour la première démocratie libérale de l’histoire qui se considère comme un phare de liberté et de justice dans le monde). Bien plus élevé dans le passé, il s’est mis à décliner depuis les années 70 (voir ce lien). La montée du conservatisme et de l’individualisme, combinée à la méfiance envers l’État fédéral peuvent expliquer en partie ce phénomène de désengagement politique des citoyens américains.

Toutefois, l’élection présidentielle de 2020 ainsi que les autres élections fédérales qui se sont déroulées simultanément marquent une rupture avec le taux de participation à la baisse chez les électeurs américains depuis un demi-siècle. Dans la foulée de la présidence de Donald Trump, plusieurs groupes minoritaires et progressistes de la société américaine ont voulu s’assurer qu’il ne séjourne plus à la Maison-Blanche pour un autre mandat. Ainsi, le vote des Afro-Américains et des Latino-Américains a contribué à l’amélioration de la fréquentation des urnes lors de ces élections fédérales.

Mais il n’en fallait pas plus pour que les élus républicains, répartis à travers les différentes enceintes parlementaires de nombreux États du pays, prennent les moyens pour s’assurer qu’un tel scénario ne se reproduise plus. Différents projets de loi, plus de 300 en fait, dans plusieurs États du pays (notamment en Floride, en Géorgie et en Iowa), complexifiant encore plus le droit de vote au bureau de scrutin, par correspondance ou anticipation, ont été proposés tout de suite après les résultats de l’élection présidentielle sous le prétexte de prévenir la fraude électorale massive dont le président Trump alléguait être victime (ce qui a été démenti officiellement, nous le savons, faute de preuve).

Le délitement de la démocratie

Nous avons aussi assisté, particulièrement depuis la présidence de Ronald Reagan, à un affaiblissement de la tradition démocratique aux États-Unis qui a culminé avec l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021. En parallèle, pendant la même période, les inégalités socioéconomiques se sont accentuées (encore plus en cette période de pandémie) avec des politiques économiques néolibérales nuisant à la syndicalisation des travailleurs en combinaison avec l’application de théories dites de « ruissellement » qui ont diminué la contribution fiscale des plus nantis et des grandes entreprises aux coffres de l’État tout en sabrant allègrement les services publics.

Le fossé entre les classes sociales s’est accentué et l’ascendance de l’argent et du monde des affaires sur la vie politique américaine contemporaine s’est raffermie avec comme ultime conséquence l’avènement d’une radicalisation extrême vers la droite du parti républicain et d’un populisme fascisant tel que nous l’avons connu avec Donald Trump à la présidence. Une dérive du parti républicain vers l’autoritarisme et le culte du chef qui se confirme davantage avec les purges qui ont eu lieu parmi les élus prodémocratie de ce parti qui s’opposaient à la remise en cause de la validité des résultats de l’élection présidentielle, au grand dam de l’ex-président.

Tout cela se déroule sur une toile de fond d’une crise des médias suscitée par l’avènement de l’Internet qui a amené une dynamique de concentration des médias et de réduction des sources d’information fiables très dangereuse pour la santé de la démocratie. Et depuis 2016, cette crise a été exacerbée par une polarisation extrême de la société américaine avec la propagation de fausses nouvelles et la présence de « chambres d’échos » sur les réseaux sociaux suscitant une remise en question de la crédibilité de la profession journalistique, souvent infondée.

Une lueur d’espoir

La tentation est forte de se résigner devant la somme de ces défauts de la démocratie américaine qui ne semblent pas se corriger.

Cependant, la nouvelle administration du président Biden semble déterminer à réformer le régime démocratique américain avec le « For The People Act », un projet de loi qui atténuerait le pouvoir de l’argent dans la politique américaine et qui vise à élargir le droit de vote mis à mal par les républicains en combattant expressément les nombreuses tactiques de suppression de votes énumérées ci-haut.

Approuvée par la Chambre des représentants, cette loi quasi révolutionnaire reste à être votée au Sénat, qui bien qu’étant sous une mince majorité démocrate, risque de la rejeter avec une obstruction parlementaire institutionnalisée, appelée filibuster, favorisant ici la minorité républicaine.

Des tractations auraient actuellement lieu dans le but de contourner cette obstruction parlementaire afin d’initier cette revitalisation essentielle de la démocratie américaine portée par ce projet de loi, mais il est probable que des sénateurs démocrates plus conservateurs s’y opposent et la fassent échouer en raison de la majorité de seulement un siège des démocrates au Sénat (il n’existe pas de ligne de parti rigide aux États-Unis, même si le niveau de polarisation entre les deux grands partis ne cesse de s’accentuer).

En somme, chacun des principaux partis politiques cherche, soit à élargir le nombre de personnes capables de voter ou au contraire limiter ce nombre en instituant encore plus de méthodes de suppression de votes, tout ça afin de s’assurer de remporter le plus de sièges possibles et la présidence du pays dans l’avenir.

Mais il n’y a pas qu’un seul moyen de réformer la politique. Le front économique est tout aussi vital à la bonne santé démocratique. En effet, en supportant financièrement les familles et les travailleurs à faible revenu, il devient plus facile pour ses derniers de s’impliquer dans le débat politique, ou du moins d’avoir plus le temps de s’informer ou d’en comprendre les enjeux au lieu d’essayer de se maintenir la tête hors de l’eau monétairement en occupant plusieurs emplois simultanément. C’est ainsi que l’administration Biden a opté pour une politique économique keynésienne d’investissement massif dans l’économie (un peu semblable à ce qu’on a pu voir dans les années 30 avec le New Deal de Roosevelt), comportant un premier plan d’aide de 1900 milliards favorisant en grande partie les moins nantis dans les domaines de la garde des enfants, les soins aux aînés et aux handicapés. Ensuite, ce gouvernement propose l’adoption d’un second plan de réfection des infrastructures de 2000 milliards afin de stimuler la création d’emplois de qualité et de mettre à niveau les écoles, les collèges communautaires, le logement social et les garderies. Enfin, un troisième plan de soutien aux familles de 1800 milliards sur 10 ans financé en partie par la lutte à l’évasion fiscale vise à investir dans l’éducation publique et améliorer les soins de santé, notamment des enfants (nous savons que les coûts de santé sont très importants pour les individus aux États-Unis).

Également, le gouvernement prévoit augmenter le salaire minimum à 15$ l’heure pour les sous-traitants faisant affaire avec le fédéral.

Impensable il y a quelques années, l’idée de taxer davantage les revenus et gains en capital des plus riches (comme Roosevelt l’avait fait après la Grande Dépression) et les bénéfices des multinationales indépendamment de la localisation de leurs sièges sociaux dans le monde fait du chemin à Washington (et aussi chez ses partenaires européens). On désire évidemment répartir plus équitablement les richesses après des décennies de laisser-aller. Au niveau national, Biden prévoit augmenter les impôts des grandes sociétés de 21 à 28 %. Il faut savoir que contrairement à la réforme électorale, les budgets ou les plans d’aide économique ne sont pas soumis à une quelconque règle d’obstruction parlementaire.

En conclusion

Alexis de Tocqueville, auteur bien connu « De la démocratie en Amérique », définissait la démocratie plus par la simple égalité politique et la liberté de s’enrichir que par l’égalité des chances et la répartition plus juste des richesses. Voilà bien une définition propre au 19e siècle. À notre époque, on constate que la démocratie ne se limite pas exclusivement à l’exercice de sa liberté ou de son droit de vote. Il existe aussi une démocratie économique qui est intimement liée à la démocratie politique. Elle intègre les conditions socioéconomiques qui déterminent la véritable égalité politique entre les individus et qui est un ingrédient essentiel à une véritable démocratie.

Une population appauvrie détenant un faible niveau d’éducation ne peut pas faire de bons choix même si elle possède le droit de vote. Le soutien de l’État devient indispensable pour niveler vers le haut les conditions d’existence de tout un chacun afin de rehausser la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux du plus grand nombre favorisant de meilleurs choix politiques dans l’urne. De cette façon, avec des électeurs plus éclairés et possédant un niveau de vie adéquat les sortant de la pauvreté, l’accession au pouvoir d’un populiste aux tendances despotiques devient moins probable et la mainmise de certains groupes d’individus aux intérêts parfois incompatibles avec ceux de la société s’en trouve amoindrie.

Il ne fait aucun doute que cette démocratie inachevée est à un moment tournant après plus de 200 ans de cheminement tortueux, d’avancées et de reculs qui nous démontrent que la lutte pour la démocratie n’est jamais terminée…

L’autre contre-pouvoir

Cet article a été publié dans Métro Montréal le 13 janvier 2021 et dans Le Devoir le 14 janvier 2021

L’influence de l’argent en politique américaine

La décision de plusieurs grandes entreprises américaines de ne plus financer les élus, surtout républicains, qui n’ont pas dénoncé ouvertement l’insurrection du 6 janvier au Capitole fut une surprise pour bien des analystes.  Mais elle met en lumière l’influence du pouvoir économique, en général négative, mais pas toujours, sur la vie politique américaine.

La vaste majorité des grandes démocraties occidentales ne permettent pas les dons politiques des entreprises privées lors des élections afin d’éviter collusion et corruption.  Toutefois, au pays de l’ultra capitalisme, le privilège de promouvoir ses intérêts avec son argent est considéré comme un droit fondamental.  Un phénomène qui s’est accentué avec l’avènement des Super PAC à la suite d’un jugement de la Cour suprême en 2010.

Avec l’initiative de ces grandes sociétés de mieux cibler les récipiendaires de leurs contributions politiques, on assiste à une nouvelle prise de conscience du milieu économique de son influence sur les affaires de l’État et de la nation.

La balance et l’équilibre des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) dont s’inspire la Constitution américaine sont des concepts bien connus en science politique. Les grandes entreprises, par cette action concertée, essaient de jouer un rôle de contre-pouvoir, un cinquième pouvoir après le quatrième pouvoir des médias, face à des représentants et sénateurs républicains qui ont oublié leurs responsabilités envers la démocratie américaine pour satisfaire leur désir de réélection.

Pour les dirigeants de ces entreprises, un climat politique instable est néfaste pour les affaires.  Ce n’est pas souvent le cas, mais ici leurs intérêts convergent avec ceux de la préservation des institutions politiques démocratiques américaines…

Vices de constitution

Devant la confirmation de la victoire de Joe Biden et après avoir essuyé plusieurs revers en cours sur les allégations de fraude électorale, le camp Trump envisage de déplacer le combat vers le collège électoral. Les gouvernements des États ayant théoriquement le droit dans la constitution de désigner leurs grands électeurs (une pratique abandonnée en 1860), on espère convaincre les législatures locales, aux mains des républicains dans les États-clés, de passer outre le choix des citoyens et de choisir elles-mêmes leurs grands électeurs favorables à Donald Trump. Bien que la manœuvre a peu de chances de réussir, elle nous permet d’examiner d’un peu plus près la fameuse Constitution des États-Unis.

On est en droit de se demander comment Donald Trump a été élu président en 2016 et a failli obtenir un deuxième mandat quatre ans plus tard. Dans un régime présidentiel « normal » que l’on retrouve ailleurs dans le monde, le président est élu au scrutin direct. Chaque vote a donc le même poids. Mais la première démocratie de l’histoire moderne a conçu un système alambiqué reposant sur le concept d’un collège électoral. Même si certains clameront que l’élection de ce 45e président est le résultat d’une grogne d’électeurs désabusés des campagnes électorales préformatées qui caractérisent dorénavant la vie politique américaine, ce qui est en partie véridique, ce système est tout de même à la source d’un grave défaut de conception du régime démocratique des États-Unis qui a permis l’accession de Trump au poste de chef de l’État et de l’exécutif. Remémorons-nous l’élection de 2016, lorsqu’il remporta la présidence sans le vote populaire avec un déficit record de près de trois millions de voix.

Mais revenons à la source, la Constitution américaine. Ses rédacteurs l’ont écrite afin d’émanciper l’ancienne colonie de la tutelle de la Couronne britannique. On élabora cette loi suprême de la nouvelle nation de façon à empêcher un despote de prendre éventuellement le pouvoir en instaurant des contre-pouvoirs se contrebalançant mutuellement. Bien qu’elle se veut audacieuse pour l’époque avec des concepts novateurs comme l’équilibre et la séparation des pouvoirs, des idées empruntées à des penseurs comme Montesquieu et John Locke, son élaboration traduit plutôt la volonté de maintien des privilèges de la classe dominante que représentaient les Pères fondateurs qui la rédigèrent. Ces derniers, de riches notables et propriétaires terriens des 13 colonies, signèrent la Constitution non seulement afin de fonder une nouvelle nation, mais aussi pour s’assurer de leur mainmise sur le pouvoir politique dans le nouveau pays. L’historien américain renommé Charles A. Beard (1874-1948) dénonce sans ambages cette « prise du pouvoir » par les puissants de l’époque. Selon lui, au-delà des nobles principes démocratiques, l’objectif inavoué des Pères fondateurs fut surtout de préserver les intérêts des élites et des nantis. Les écrits de James Madison, l’un des principaux auteurs de la Constitution, dans les Federalist Papers semblent appuyer cette hypothèse. Le 4e président des États-Unis craignait que la démocratie directe échappe aux élites si des « factions populaires » devenaient trop influentes. Afin d’endiguer les aspirations revendicatrices du peuple, il intégrera avec ses pairs le principe de représentativité dans la Constitution américaine, à l’exemple du Parlement de Grande-Bretagne de l’époque. Mais ils poussèrent l’idée un peu plus loin en allant même à l’implanter dans le processus d’élection du chef de l’État avec l’introduction de grands électeurs. Nous y reviendrons.

Mais comment assurer la mainmise des nantis dans une nouvelle nation? Tout d’abord en s’assurant d’un immobilisme politique à l’aide d’une application dévoyée du principe d’équilibre des pouvoirs. La fameuse notion de « checks and balances » entre les trois organes du pouvoir, c’est-à-dire le législatif (la Chambre des représentants et le Sénat réunis dans le Congrès), l’exécutif (le Président) et le judiciaire (la Cour suprême ), fonctionne tellement efficacement dans la prévention de l’avènement d’un tyran que des transformations profondes du système politique ou de la société ne se réalisent que rarement, car chaque pouvoir court-circuite les autres lorsque les deux partis politiques se partagent les deux chambres du Congrès et la Maison-Blanche — un phénomène de blocage davantage présent ces dernières décennies avec l’extrême polarisation politique.

En fait, trop souvent dans l’histoire politique américaine, les chambres haute et basse du Congrès ainsi que la Maison-Blanche s’opposent selon les déclinaisons idéologiques des deux formations politiques. Ainsi, toute tentative d’entériner une loi réformiste adaptée à une situation donnée se révèle très difficile. Ajoutons que le Sénat dispose de plus de pouvoirs que la Chambre des représentants et que l’octroi de 2 sénateurs par État favorise les moins peuplés de ceux-ci.

Traitons maintenant du fameux collège électoral. Officiellement, on désirait donner plus d’importance aux États dans le processus électoral présidentiel, à l’image du Congrès avec le Sénat qui se veut une chambre des États. De fait, le collège électoral donne le même nombre de grands électeurs à un État que le nombre de représentants et de sénateurs qu’il détient. Ensuite, ces grands électeurs désignent le futur président. Rappelons que si un candidat à la présidence obtient plus de voix que les autres dans un État, tous les grands électeurs de cet État lui reviennent, ce qui engendre parfois des aberrations antidémocratiques avec un président élu avec moins de voix que son adversaire (comme en 1888, 2000 ou 2016). Comme je l’évoquais ci-haut, les Pères fondateurs voyaient d’un mauvais œil l’émancipation des petites gens par la démocratie directe. Ils désiraient ainsi instituer un « tampon  » entre ceux-ci et la désignation du président, comme le notait Maurice Duverger, politicologue français. Contrairement au scrutin direct, les citoyens votent pour de grands électeurs qui à leur tour désignent le locataire de la Maison-Blanche. De plus, ceux-ci peuvent même changer leur allégeance politique en votant pour un autre candidat en porte-à-faux avec le choix des électeurs. Récemment, cela s’est déjà produit 7 fois en 2016. Le cas le plus connu est celui d’un grand électeur démocrate d’Hawaï qui décida de ne pas voter pour Hillary Clinton. Cependant, de nos jours, plusieurs États imposent des amendes aux grands électeurs s’ils dérogent du choix de votes des électeurs.

On constate ici très bien que les Pères fondateurs craignaient une prise de contrôle politique de la populace et cherchaient à limiter le pouvoir des simples citoyens par la voie constitutionnelle. Mentionnons, par ailleurs, les nombreuses limitations au droit de vote de la première démocratie libérale de l’histoire. Ces entraves limitaient, différemment selon les États, les droits démocratiques des femmes, des non-blancs et de ceux ne possédant aucune terre. Au fil des décennies et de la progression de la modernité, ces droits furent élargis à tout citoyen.

Il est à noter que le collège électoral donne un poids électoral supérieur aux États du centre et du sud plus ruraux. Alors, comme dans plusieurs autres pays, le vote urbain, plus concentré, est désavantagé par rapport au vote régional. Ces États américains, on le sait, sont plutôt conservateurs et réfractaires au progrès social.

En définitive, dans leur crainte de trop grands changements sociétaux au désavantage de la classe dominante, les Pères fondateurs ont instauré un conservatisme institutionnel difficile à briser. C’est cette inertie politique qui a contribué à l’atonie dans la résolution des problèmes socio-économiques et de la question raciale depuis près de deux siècles et demi aux États-Unis.

Comble de l’ironie, les Pères fondateurs n’avaient point prévu dans un avenir lointain un climat politique aussi délétère que celui régnant au début du XXIe siècle et qui rend pratiquement obsolètes les remparts constitutionnels qu’ils ont voulu construire afin d’éviter l’avènement d’un dictateur. Et c’est bien ce qui a failli se réaliser avec l’entrée à la Maison-Blanche d’un certain Donald Trump, il y a quatre ans…

Une fraude parallèle

Cette lettre a été publiée le 09 novembre 2020 dans Le Devoir

Donald Trump affirme que la corruption à grande échelle vient de lui ravir sa reélection à la présidence américaine. Est-ce à dire alors que tous les officiers des deux partis surveillant le processus électoral de chaque état à la grandeur des États-Unis (chaque état compilant à sa façon les voix pour la présidence) sont dans le coup?

Bien qu’il n’existe aucune preuve de fraude électorale et que la décentralisation dans chaque état du dépouillement du vote rende très difficile un détournement dans l’ensemble du pays du résultat du scrutin présidentiel, Trump et ses partisans continuent de crier à la fraude électorale sans considération des faits ou de la logique.

C’est ce qui arrive lorsqu’on vit dans un univers parallèle.

Petit guide du dictateur

Cet article a été publié dans Le Devoir le 13 octobre 2020

Le Dictateur

L’histoire politique d’un certain pays d’Europe centrale gouverné par un caporal allemand d’origine autrichienne un peu avant la Deuxième Guerre mondiale est riche d’enseignements pour tous les despotes en devenir du XXIe siècle comme Donald Trump. Voici un petit guide en 5 étapes très utiles.

La première étape du b.a.-ba de la prise du pouvoir par le dictateur est d’installer un climat de méfiance envers tout ce qui est racialement et culturellement différent de la majorité de la population. Jadis, on attaquait les Juifs ou les Tsiganes. Aujourd’hui, on pointe du doigt les Noirs, les Latino-Américains et les Arabes.

La deuxième étape consiste à créer une aura de sauveur autour du chef qui libérera le peuple d’une grande cabale internationale ourdie par de grands corrupteurs sans âme. Avant, on désignait en ce sens la juiverie internationale. De nos jours, on cible (aussi) des pédosatanistes sanguinaires gouvernant secrètement le monde à partir d’un « État profond ».

La troisième de ces étapes se résume en l’établissement d’une propagande idéologique mur-à-mur faisant passer les mensonges pour la vérité. À une époque, on lisait Mein Kempf et on se faisait laver le cerveau par les films propagandistes du parti unique. Maintenant, on se laisse embrigader par les allégations fallacieuses de QAnon, les « fake news » ou la désinformation du réseau Fox. On se laisse aussi influencer par le travail d’agences de marketing inondant les réseaux sociaux de commentaires faussement favorables au chef.

Quatrième étape, la formation d’escadrons disciplinés suivant à la lettre les ordres du chef. Dans les années 20 et 30 du siècle dernier, les SA et les SS faisaient régner la terreur en combattant les communistes. En 2020, on excite des milices d’extrême droite qui essaient de renverser des gouvernements par les armes et de kidnapper des élus jugés de gauche radicale.

Cinquième et dernière étape, la non-reconnaissance des institutions politiques et la prise du pouvoir total selon des motifs douteux. Autrefois, on tentait un putsch en Bavière et on incendiait le Reichstag en blâmant une minorité. Désormais, on laisse planer des doutes sur la validité d’un scrutin et sur la passation pacifique du pouvoir en cas de défaite…

Des Américains noirs… de colère

Même s’il y en a eu bien d’autres auparavant, le meurtre particulièrement odieux de George Floyd par l’agent Derek Chauvin largement diffusé sur les réseaux sociaux dans un pays transcendé depuis sa fondation par la problématique raciale et les iniquités sociales et économiques a littéralement embrasé les feux de l’indignation et de la colère de la communauté noire et de tous ceux luttant pour la fin de la discrimination raciale.

La preuve est accablante et le geste révoltant.  Même les plus fervents républicains hésitent à commenter tellement les faits parlent d’eux-mêmes.

Cette discrimination raciale, que certains qualifient de trait systémique de la société américaine, trouve son origine au débarquement des premiers esclaves noirs africains par des Néerlandais sur le sol des premières colonies britanniques en Amérique du Nord vers l’an 1619. Cette main-d’œuvre peu coûteuse contribua à l’implantation sur le territoire des premières colonies anglaises dans les conditions de vie difficiles de l’époque. Son apport à la construction de ce nouveau pays en gestation est sans équivoque.

Malgré l’émancipation des esclaves en 1865, leur nouvelle liberté n’étant pas appuyée par une élévation de leur niveau de vie, plusieurs retournèrent au service de leurs anciens maîtres et d’autres émigrèrent vers le nord dans l’espoir d’améliorer leur sort.  Mais, force est de constater que les Afro-Américains n’ont jamais atteint un statut socio-économique comparable à celui des blancs, même après plus d’un siècle et demi de liberté théorique.  Encore aujourd’hui, le salarié noir gagne en moyenne moins que le salarié blanc pour un travail comparable et le taux d’incarcération des noirs est de beaucoup supérieur à celui de la population blanche.

Depuis l’événement, les manifestations en général pacifiques, mais parfois violentes, ayant eu lieu d’un bout à l’autre des États-Unis, ont donné comme résultat l’arrestation des quatre policiers impliqués dans l’assassinat filmé de Georges Floyd, ce qui fut suffisant pour calmer l’agitation populaire.

Néanmoins, cette contestation est encore loin de son dénouement. Il reste à entendre le verdict du procès qui aura possiblement lieu dans plusieurs mois en pleine période d’élection présidentielle.  Leur acquittement ou leur condamnation déterminera la suite des événements dans cette triste histoire, soit une recrudescence de la violence dans les rues lors de l’une des campagnes électorales les plus tendues de l’histoire américaine, soit un changement de paradigme sur la problématique raciale qui se fait depuis si longtemps attendre aux États-Unis…

Franchir le Rubicon

Cet article a été publié dans le journal Métro Montréal le 15 janvier 2020 et dans Le Devoir le 16 janvier 2020

Les menaces de guerre contre un pays hostile d’un président américain dans l’eau chaude ou sur le point de perdre sa réélection ne sont pas choses nouvelles dans l’histoire politique américaine. Donald Trump, avec l’assassinat du général iranien Soleimani, tente à son tour de jouer cette carte en espérant que les électeurs américains se rangent derrière le président comme ils le font habituellement lors d’un conflit ou d’une menace de conflit.

Bien évidemment, le rapport de force militaire avec l’Iran est grandement à l’avantage des États-Unis et le désir de ses deux puissants alliés, la Chine et la Russie, de s’engager dans un affrontement avec l’Oncle Sam est loin d’être une certitude. Une guerre serait probablement gagnante pour les États-Unis. Mais, les conséquences, elles, ne le seraient pas.

Sans compter le risque de déstabiliser encore plus le Moyen-Orient déjà traversé par des frictions politiques, culturelles et religieuses, le contrecoup économique d’une telle guerre tomberait à un bien mauvais moment dans la conjoncture financière mondiale.

En effet, une guerre dans cette région du monde propulsant le prix du pétrole à des sommets (et aussi l’inflation qui en découlerait) risquerait de plomber une économie mondiale déjà alourdie par les risques d’un fort ralentissement en 2020 engendré par les tensions commerciales entre nations, bien sûr, mais aussi par le taux d’endettement colossal tant des ménages, des entreprises privées que des gouvernements des pays riches et émergents – un endettement record depuis les années 70, prévient la Banque mondiale, qui annonce fréquemment, selon elle, une importante crise financière.

Donald Trump franchira-t-il le Rubicon? Possiblement bénéfique à court terme du point de vue électoral, cette éventuelle guerre pourrait être désastreuse à moyen terme au plan économique ainsi que géopolitique pour le monde et pourrait aussi se retourner contre le présent locataire de la Maison-Blanche lors de la prochaine élection présidentielle, encore plus si la situation économique se détériore ensuite dans son pays…