La pensée magique

Cet article a été publié dans Le Devoir, le 6 avril 2023

Le président du prochain sommet sur les changements climatiques (COP28), le sultan Ahmed al-Jaber, p.-d.g. de l’ADNOC, l’une des plus grandes entreprises pétrolières au monde, annonçait récemment la nécessité de continuer à exploiter le pétrole pour permettre de financer la transition énergétique, au grand dam de plusieurs environnementalistes.

De façon surprenante, cette idée s’est même répandue à certaines organisations environnementales, qui n’ont pas hésité depuis plusieurs années à collaborer avec les grandes pétrolières, à admettre des cadres de ces entreprises dans leurs conseils d’administration et même à recevoir du financement de celles-ci (comme l’a déjà révélé la journaliste et essayiste Naomi Klein), en véritable profession de foi envers un hypothétique et incertain progrès technologique qui permettrait d’éviter une catastrophe climatique qui semble désormais inévitable.

Il est aisé de constater ce changement de paradigme chez certains tenants de la lutte contre les changements climatiques. Nous n’avons qu’à penser à un ministre libéral de l’Environnement et du Changement climatique, anciennement membre actif de Greenpeace, qui a étonnamment donné son appui l’année dernière au vaste projet d’extraction pétrolière Bay du Nord au large des côtes de Terre-Neuve pendant le déroulement de la COP27, qui venait d’ailleurs d’accueillir pour la première fois des représentants de l’industrie pétrolière !

Certains pourraient affirmer alors que la nomination de ce nouveau président de la COP impliqué directement dans le commerce du pétrole, en pleine contradiction avec la cause elle-même, ainsi que l’indolence de prétendus défenseurs de l’environnement ne sont que l’aboutissement logique de notre refus collectif à admettre l’urgence de la situation et à remettre en question notre mode de vie… en pure pensée magique.

Photo de Markus Spiske: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/climat-gens-rue-foule-2990610/

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Des baisses d’impôt ploutocratiques

Cet article a été publié dans le magazine Le ZigZag, La voix des citoyens, le 24 mars 2023

On se demande bien pourquoi le gouvernement Legault octroie une baisse d’impôt à la sortie d’une élection aux résultats quasi historiques dont il est sorti pourtant grand gagnant? La règle générale dicte plutôt qu’un gouvernement procède à une réduction d’impôt à la fin de son mandat, pas au début. Alors, comment expliquer cela?

La toute première chose à souligner est le caractère peu démocratique de cette réduction d’impôt qui avantage, selon plusieurs économistes, les citoyens dont les revenus se situent aux paliers supérieurs d’imposition – il en est de même pour les chèques de 500 $ distribués il y un an à l’ensemble des citoyens sans rapport à leurs revenus.

Cela traduit de la part du gouvernement Legault une vision conservatrice de la société qui ne fait pas de distinction entre les individus et leurs positions dans l’échelle sociale et ne tenant aussi pas compte des difficultés sociales et économiques des citoyens les plus pauvres. Ainsi, on met sur pied une politique de réduction d’impôt selon l’impôt payé des individus et non selon leurs besoins ( qui sont criants pour certains).

Il est facile de comprendre l’attitude de ce gouvernement, composé pour la plupart d’hommes et de femmes d’affaires, qui constitue en sorte une nouvelle bourgeoisie canadienne-française ayant enfin pris le pouvoir. Doutant du modèle social-démocrate québécois qui a pourtant permis leur émergence, ces hommes et ces femmes politiques appliquent ce qu’on leur a appris dans les différentes écoles de commerce et gèrent la province comme on gère une entreprise sans considération sociale ou écologique.

Enfin, le plus triste dans tout cela est que ce gouvernement avec une telle cote d’approbation dans la population pourrait procéder à des réformes majeures pour la protection de l’environnement, pour la transition énergétique ou la lutte à la pauvreté et à la faim dans notre société. Mais il préfère rester au business as usual. On l’a bien vu avec son laxisme dans le dossier de la Fonderie Horne et ses rejets toxiques, son entêtement à construire le troisième lien entre Québec et Lévis et son manque de volonté à financer les banques alimentaires…

Photo de Tima Miroshnichenko: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-riche-argent-porter-6266641/

L’Impossible est possible

Ce court texte a été publié dans Le Soleil de Québec, le 11 mars 2023

Je ne suis plus capable d’entendre dire «ça n’arrivera pas», «c’est impossible», «c’est du pelletage de nuages» chaque fois que quelqu’un suggère quelque chose pour rendre plus juste et plus verte cette société de plus en plus dysfonctionnelle. 

Et c’est exactement ce que les puissants veulent que l’on pense. Mais quand il est temps de supporter le système financier en injectant des centaines de milliards de dollars d’argent public dans les caisses des banques et des grandes institutions financières, comme en 2008 (avec leurs PDG qui en ont profité en plus pour ramasser le pactole au passage), là, la société juge que l’impossible est possible.

Photo de Pixabay: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photo-en-niveaux-de-gris-des-pieces-259209/

Démocratie et économie de marché

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 27 janvier 2023

Nous apprenions, sans grande surprise, que l’écart entre les revenus des salariés et ceux des PDG des grandes entreprises canadiennes (et partout dans le monde) s’était encore accentué. Le phénomène, au lieu de se résorber, tend à s’amplifier en corrélation avec la disparition lente et certaine de la classe moyenne depuis plus d’une trentaine d’années en Occident.

Comment alors définir notre civilisation en regard de ce creusement inédit des inégalités? Certes, nous nous berçons dans l’illusion de vivre dans une démocratie politique représentative idéale, mais dans la réalité, la démocratie réelle, c’est-à-dire économique, est aussi mise à mal et sa détérioration arrive même à compromettre la démocratie politique par l’ascendance délétère de riches personnages et de puissances d’argent sur les élus et les institutions politiques.

Paradoxalement, les principes démocratiques et de liberté hérités du siècle des Lumières, qui ont pourtant permis l’essor de l’économie de marché dans un cadre libéral, sont désormais menacés par la concentration excessive des richesses et l’influence de super-riches (qui sont l’ultime aboutissement du capitalisme) situés bien au-dessus des lois et des réglementations étatiques (notamment dans le paiement de leurs impôts), comme si la civilisation occidentale avait fait un retour en arrière vers l’ancien régime féodal qui était dominé par quelques familles possédant l’essentiel des richesses et du pouvoir politique face à une masse servile et appauvrie.

Ces nouveaux maîtres du monde, comme les anciens nobles et aristocrates du Moyen Âge, dans un contexte social de désinformation, de remise en question de la science, de recul des droits fondamentaux et d’atomisation de la société, hésitent à suggérer des changements positifs de paradigmes, qui seraient pourtant bénéfiques à la collectivité, de peur de perdre leurs avantages et tout ce qui a permis leur enrichissement, comme la consommation de masse polluant à l’extrême l’environnement et la commercialisation à grande échelle des énergies fossiles réchauffant dangereusement le climat.

Il y a plus de quatre siècles advenait une Renaissance qui a permis de sortir d’une époque de ténèbres. Espérons, bientôt, qu’une nouvelle renaissance émerge de ce nouveau Moyen Âge pour guider le genre humain vers une période historique plus humaniste et respectueuse de l’environnement… pour la suite du monde.

Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/suivre-caoutchouc-riche-empiler-4386476/

Les occasions manquées

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 17 janvier 2023

La Banque mondiale, en ce début de 2023, dresse un portrait plutôt sombre des années à venir pour l’économie mondiale. La guerre en Ukraine, l’inflation galopante, la montée des taux d’intérêt, les événements météorologiques extrêmes liés au réchauffement climatique et les tensions géopolitiques sont dans le tableau et entraîneront, selon les experts de l’institution, un faible taux de croissance un peu partout sur la planète et même une croissance nulle en Europe.

On parle aussi d’une deuxième récession en une seule décennie, ce qui serait du jamais vu depuis la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que des taux de croissance anémiques qui ne s’étaient pas produits depuis les années 1960.

Et si les forts taux de croissance que nous avons connus avec les Trente Glorieuses et le début des années 2000 tiraient à leur fin? Plusieurs personnes l’ont évoqué: la croissance infinie dans un monde fini est impossible selon les conclusions du Rapport Meadows de 1972.

Serait-ce alors notre chance d’opérer le changement dont le monde a tant besoin avant que la réalité nous rattrape? Les échecs du néolibéralisme et du laisser-faire économique deviennent de plus en plus patents. Le non-respect de l’environnement et du climat, l’exploitation abusive des richesses naturelles planétaires ainsi que les grands écarts de richesse (même décriés par l’OCDE) nous dirigent inéluctablement vers un cul-de-sac.

Nous avons eu, plus d’une fois, notre chance de procéder à un changement de modèle socio-économique. La crise financière mondiale de 2007-2008, qui a fait vaciller le capitalisme, et la pandémie de la COVID-19, qui nous a démontré qu’un style de vie moins déjanté était possible, ont été autant d’opportunités de changer de cap. 

Aujourd’hui, un fort ralentissement économique se pointe à l’horizon. Serons-nous capables d’en profiter pour le mieux? Combien d’occasions manquées raterons-nous encore?

La faim du monde

Cet article a été publié dans Le Devoir et Le Soleil de Québec, le 22 décembre 2022

L’année 2022 se conclut avec la COP15 sur la préservation de la biodiversité, et malgré les laïus rassurants, on se doute que le tout risque de rester lettre morte en raison des tractations difficiles qui ont marqué le sommet. S’il y a un sujet aussi important, sinon plus que tout autre, c’est bien la biodiversité. Grâce à elle, la pyramide du monde vivant se maintient ainsi que la pérennité alimentaire de l’humanité.

Pourtant, de nombreuses espèces continuent à s’éteindre à un rythme effarant (dont les abeilles, qui jouent un rôle essentiel dans la pollinisation) dans ce qu’on appelle déjà la sixième extinction de masse, et nous persistons dans la monoculture qui appauvrit les sols sans oublier l’utilisation de pesticides, de semences et d’organismes génétiquement modifiés à la Monsanto-Bayer qui comportent des risques pour l’environnement ainsi que pour la santé humaine.

Sans un changement de paradigme dans l’agriculture et la conservation des espèces animales et végétales, serons-nous capables d’éviter dans l’avenir la faim du monde ?

Photo de Lena Sova: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/nature-foret-feuille-arbre-9902192/

Une nouvelle course au nucléaire

Cet article a été publié dans Le ZigZag, la voix du citoyen, le 15 décembre 2022

Nous apprenions, il y a quelques jours, qu’une équipe de scientifiques américains avait réussi un exploit technologique lors d’une expérience de fusion nucléaire qui est un peu le Saint Graal en matière d’énergie.

Au contraire de la fission nucléaire bien connue, la fusion nucléaire assemble deux atomes pour produire plus d’énergie qu’il en est investi, et ce avec peu de déchets nucléaires et aucun gaz à effet de serre.

Pour l’humanité, cette découverte peut constituer une planche de salut en matière énergétique et suppléer aux énergies fossiles qui ont tant contribué au réchauffement climatique.

On peut s’imaginer alors que les équipes de scientifiques déjà au travail sur la planète s’activent davantage pour réussir eux aussi une expérience de fusion nucléaire, car les enjeux sont énormes pour les superpuissances mondiales et les plus petites. Le pays qui parviendrait à générer le premier en quantité industrielle de l’énergie grâce à la fusion nucléaire obtiendrait un avantage économique et militaire indéniable.  

Et au plan éthique, les pays qui pourront produire une grande quantité d’énergie de cet ordre l’utiliseront-ils simplement pour accroître leur puissance ou pour améliorer la qualité de vie de leurs citoyens? Feront-ils confiance au secteur privé avide de profit ou au secteur public pour gérer cette nouvelle manne énergétique? 

Le coup de départ vient de se faire entendre. Il s’agit possiblement d’une nouvelle course au nucléaire, un peu comme celle que nous avons connue après Hiroshima et la Deuxième Guerre mondiale, entre les grandes nations et les conséquences futures sur l’échiquier politique mondial restent encore à déterminer…

Une constitution verte

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 12 décembre 2022

Les différents sommets sur la biodiversité ou sur le réchauffement climatique nous donnent toujours l’impression que nos gouvernants s’occupent des questions environnementales.

Mais, entre les belles paroles et les agissements concrets, il y a un monde. Plus souvent qu’autrement, les promesses restent sur le papier et le business poursuit son petit bonhomme de chemin en négligeant comme toujours l’environnement avec l’assentiment des gouvernements. Nous le voyons bien avec le Canada qui se drape d’un linceul vert tout en étant dans le peloton de tête des pays permettant une déforestation abusive et exploitant des énergies fossiles parmi les plus polluantes.

Force est de constater que des mesures plus coercitives seront nécessaires afin d’initier les changements tant attendus si l’on veut escamoter l’alternance politique entre les partis de gauche et de droite qui nous enlise dans l’immobilisme (les premiers essayant souvent d’établir des législations pro-environnementales et les seconds tentant de les diluer lorsqu’ils sont à nouveau au pouvoir) pour que progresse concrètement la résolution de la crise climatique.

Une avenue à explorer consisterait à enchâsser dans la Constitution canadienne, en espérant que d’autres pays emboîtent le pas, l’obligation de protéger l’environnement comme le sont déjà les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Une telle initiative a déjà été tentée récemment au Chili dans la dernière proposition constitutionnelle avant-gardiste offerte aux citoyens, mais elle a malheureusement essuyée un refus par voie référendaire en raison de la complexité de la situation politique de ce pays. Cependant, l’idée mérite d’être retenue. 

La nécessité de protéger l’environnement va de paire avec la préservation de notre qualité de vie et de ce que nous considérons comme des droits acquis, comme la liberté et la sécurité (physique ou alimentaire), entre autres. Lorsque le jeu politique ou les lois du marché ne suffisent pas à régler une situation, il est impératif d’utiliser la loi fondamentale d’une nation, c’est-à-dire la Constitution, pour enfin faire avancer le dossier et changer les mentalités.

Photo de Akil Mazumder: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/personne-tenant-une-plante-verte-1072824/

Le monde est fou

Cet article a été publié dans Le Soleil de Québec, le 23 novembre 2022

«Le monde est fou, c’est ce qu’on s’est dit mon chum puis moi.» Ces célèbres paroles de Beau Dommage me reviennent à l’esprit à chaque conclusion d’un sommet sur le réchauffement climatique. Depuis la première COP en 1995 à Berlin, ces sommets nous ont habitués aux mêmes discours lénifiants et aux belles promesses creuses tandis que l’aiguille de l’horloge climatique s’approche de minuit.

La rivalité entre les puissances économiques, les divergences entre les économies développées, émergentes et pauvres ainsi que les intérêts des grands acteurs du secteur des énergies fossiles ont toujours constitué des freins à une solution optimale de la crise climatique. Et la COP27 n’en fait pas exception… Comble de l’ironie, l’industrie pétrolière s’y invite désormais dans une tentative lamentable de «greenwashing» et les pays riches n’offrent au final qu’une vague promesse de compensation financière encore reconduite afin d’aider les pays touchés par les catastrophes à s’adapter aux impacts du réchauffement climatique au lieu d’investir immédiatement dans la décarbonisation de la planète. Qui plus est, pendant le déroulement de ce sommet, le gouvernement du Canada et celui de Terre-Neuve-et-Labrador envisagent de leur côté de délivrer des permis d’exploration pétrolière en milieu marin.

Pourtant, il est plus que temps de tenter une approche différente et plus radicale face à l’échec des initiatives précédentes. Plusieurs penseurs le suggèrent, comme la journaliste et essayiste Naomi Klein. Selon sa vision, il serait nécessaire de placer en position prioritaire la lutte aux changements climatiques dans les politiques gouvernementales, car depuis longtemps les impératifs du commerce international ont préséance sur tout le reste. En effet, les accords commerciaux internationaux nuisent aux initiatives nationales dans la transition énergétique en raison des ententes garantissant une juste compétitivité. De plus, en parallèle, madame Klein suggère d’opérer une transformation sociétale écologique qui permettrait aux exclus du système d’intégrer le monde du travail tout en participant à de vastes projets d’économie durable et sociale.

«La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent», nous rappelait Einstein. Cette phrase célèbre devrait être en en-tête de tous les documents des rencontres de la COP, surtout après plus d’un quart de siècle de tentatives infructueuses de s’entendre sur ce problème et de l’aggravation de la situation. Serons-nous capables de soigner notre folie collective avant qu’il ne soit (vraiment) trop tard?

Une liberté contre nature

Ce texte a été publié dans Le Devoir en version abrégée, le 27 juillet 2022

La cohérence est primordiale lorsqu’on manifeste pour une cause. La fin de semaine dernière, en Ontario, un convoi provenant de l’Ouest, associé de toute évidence à la manifestation de camionneurs d’il y a plusieurs mois à Ottawa, est venu soutenir les agriculteurs néerlandais dans leur lutte contre des lois environnementales plus strictes de leur gouvernement, au nom, encore, de la liberté. Les manifestants craignent qu’on instaure de semblables lois au Canada.

Alors, où est l’incohérence ? Ces protestataires défendent prétendument l’industrie agricole, qui est pourtant tributaire d’un environnement sain et d’une nature en bon état. L’agriculture est un secteur économique vital, bien sûr, mais comme toutes les industries, elle n’est pas à l’abri d’un changement de réglementation dans le temps qui servirait à l’adapter aux nouvelles réalités.

La biosphère est en péril. La vie animale est en déclin. Des périodes de canicules et de sécheresses seront de plus en plus fréquentes et auront un impact significatif sur la production agricole. Il faudrait alors aller vers moins de protection de l’environnement lorsqu’au contraire, la planète demande qu’on la protège et la respecte plus?

S’agit-il d’un prélude à des manifestations du genre contre toute loi visant à combattre le réchauffement climatique, qui devient partout un problème criant, sauf pour ces gens ?

Liberté, je scande ton nom, en m’opposant à la nature qui m’octroie pourtant cette liberté…