L’anarcho-syndicalisme : le meilleur des deux mondes

La gestion interne des entreprises par les travailleurs fait des avancées et se dévoile comme une alternative crédible aux pertes d’emplois conséquentes aux fluctuations économiques inhérentes à la globalisation économique.

Récemment, on apprenait la création de la Coopérative Filspec, à Sherbrooke, qui en est à sa quatrième année d’opération. Une centaine d’ex-employés syndiqués ont décidé d’acheter la compagnie qui fermait ses portes en raison de la compétitivité internationale et de la diriger par eux-mêmes avec le soutient financier de la Centrale des Syndicats Démocratiques (CSD) et des Caisses Desjardins qui participent au projet.

La coopérative avec un chiffre d’affaire de 30 millions de dollars exporte ses produits spécialisés aux États-unis, en Europe ainsi qu’en Australie. Elle opère malgré vents et marrées dans le domaine du textile qui ne cesse de décliner au Québec et a dû se soumettre à de difficiles sacrifices après que le privé ait décidé de se désengager : baisse des salaires de 12% en 2006 et contribution de 5% sur le taux horaire des coopérants dans un plan d’investissement de la nouvelle « compagnie ». Mais, sur le long terme, l’entreprise est rentable, malgré quelques difficultés héritées de la concurrence mondiale, particulièrement de la Chine, et devient de plus en plus un exemple pour d’autres entreprises en eaux troubles.

Le sentiment d’appartenance a eu un effet positif sur le rythme de production car les travailleurs-entrepreneurs ont la sensation de travailler pour eux-mêmes.

Par ailleurs, différentes expériences du même genre ont éclos dans d’autres pays, spécialement en Argentine qui a frôlé la banqueroute avec la crise financière et économique de 2001. C’est ce que met en lumière le documentaire « The Take » de Naomi Klein et Avi Lewis.

La plus connue est l’ancienne compagnie de céramique Zanon rebaptisée FaSinPat (pour Fabrique Sans Patron en espagnol). Suite au lock-out de l’usine ordonné par Luigi Zanon, le propriétaire, en raison des demandes d’amélioration des conditions de travail de la part du syndicat, les ouvriers ont investi les lieux et pris en charge le redémarrage de la production. Et le pire est que cela a fonctionné! La nouvelle entité commerciale fait des profits retournant directement à ses travailleurs!

Les insurgés ont justifié leurs actions de mutinerie en alléguant que la compagnie privée n’avait pas payé aux ex-employés les redevances de salaires qu’elle leurs devait. De plus, la compagnie localisée sur des terres publiques aurait bénéficié de prêts gouvernementaux dans les années 90 sans jamais rendre quoi que ce soit à l’État.

Croyant que cette manœuvre se résulterait par un échec lamentable, l’ancien détenteur de Zanon n’aurait pas réagi immédiatement à l’intrusion des travailleurs jusqu’en 2002, année où le gouvernement abandonna la parité du peso argentin avec le dollar américain. Dans ce nouveau contexte, l’entreprise recouvra son potentiel de profitabilité capitaliste et des démarches légales ont été initiées par la suite contre la coopérative de travailleurs. Depuis ce jour, elle a été victime de menaces et l’une des travailleuses de FaSinPat a même été kidnappée et torturée en 2005.

Malgré tout, la Fabrique Sans Patron tient bon. Depuis le début de l’aventure, elle a crée 170 emplois, pour un total de 410 employés actifs en 2005. De plus, elle a financé des centres communautaires et des cliniques médicales dans la région qui lui a permis d’obtenir le support des habitants locaux.

En octobre 2007, un ordre de la cour réduisit la durée de la gérance de la coopérative sur l’usine. Elle devra céder le bâtiment à l’ancien propriétaire d’ici octobre 2008 et elle promet de faire appel. Ceci se révèle encore comme une tentative de saborder un projet ouvrier prometteur par les forces capitalistes qui y voient une menace à leur domination. Un dossier à suivre.

L’anarcho-syndicalisme et l’autogestion par les employés gagnent du terrain et deviennent une voie de rechange en réponse aux fermetures d’entreprises par les investisseurs privés lorsqu’elles ne rentrent plus dans leurs barèmes de rentabilité.

Et ça se comprend. Pour l’entrepreneur privé, le seuil de viabilité doit se définir après avoir soustrait les salaires élevés des cadres et surtout la marge des bénéfices. Cependant, ces « charges » n’existent plus sous un régime d’entreprise optant pour la propriété commune de la compagnie par ses propres travailleurs. Ces « frais inhérents » sont transformés en ristournes dirigées vers les poches des salariés car on élimine le parasitage des gains par des intérêts particuliers.

Plusieurs avantages sont reliés à l’anarcho-syndicalisme : les travailleurs se sentent impliquer dans les activités de l’entreprise et donc mettent plus de cœur à l’ouvrage, ce qui se résulte par un accroissement de la productivité; la compétitivité de l’entreprise coopérative s’en trouve accrue car on élimine les intermédiaires dans la gestion (personnel cadre et actionnaires) ainsi que les coûts qui y sont associés; les profits reviennent à l’ensemble des travailleurs et de la communauté locale (comme je le citais plus haut dans le cas de FaSinPat avec ses investissements sociaux).

Il s’agirait du meilleur des deux mondes. En fait, une économie de marché composée d’entreprises coopératives et démocratiques soumises à la loi de l’offre et de la demande. On préserverait ainsi le meilleur du capitalisme tout en y incluant le meilleur du socialisme.

Ce serait sûrement une voie à explorer pour les tenants de la nouvelle gauche qui espèrent conjuguer une meilleure redistribution des richesses avec prospérité économique.

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8 réflexions sur “L’anarcho-syndicalisme : le meilleur des deux mondes

  1. Excellent billet Jimmy!

    Je ne suis pas un anarcho-syndicaliste à proprement dit mais une société avec un État le plus petit possible facilitera ce genre d’initiatives.

    Bravo à la Coopérative Filspec!

  2. clusiau

    Oui c’est bien de constater que les travailleurs pourraient peut-être arriver à s’aider eux-mêmes mais je trouve dommage que vous ne parliez pas de la cause du problème en Argentine ou une dette privée a été refilé aux pauvres et que le principal acteur de cette catastrophe qui a vu leur argent déguerpir du pays fut Clearstream.

  3. internationaliste

    C’est un très bon billet en effet.

    En passant Clusiau j’ai l’impression que tu as des tendances anarchistes. Ça fait plusieurs fois que je lis tes commentaires et je me suis toujours demandé qu’elle était ton idéologie. J’aime mieux lire tes commentaires quand ton style est moins agressif que sur le blogue de la Belette.

  4. @Anarcho

    Il me semble que l’anarcho-socialisme est intimement lié à l’anarcho-syndicalisme. Le second et tributaire du premier. Alors, tu devrais te définir comme anarcho-syndicaliste par la « bande ».

    @Cluseau

    Merci pour ces informations. C’est pertinent. Mais le sujet de la crise qu’a connu l’Argentine n’était pas le thème principal de ce billet.

    @Internationaliste

    Bon retour sur mon blogue!

  5. Je dois admettre que l’anarcho-mutualisme m’intéresse de plus en plus.

    Mais en aucun cas, je ne vais m’objecter à ce genre d’expérience anarcho-syndicaliste.

  6. « Il s’agirait du meilleur des deux mondes. En fait, une économie de marché composée d’entreprises coopératives et démocratiques soumises à la loi de l’offre et de la demande. On préserverait ainsi le meilleur du capitalisme tout en y incluant le meilleur du socialisme. »

    Bon texte Jimmy, mais en fait, ce serait du socialisme, pratiquement. La phase avant le communisme, selon Lénine entre autre. Le communisme non atteint, refoule de contradictions comme celles qui perdureraient dans un système comme serait celui-là. Le communisme serait encore loin, mais le prolétariat tenterait à vouloir disparaître. Certaines des usines, en Argentine, ont carrément adopté des programmes pratiquement-communistes, où toutes et tous, gagnent le même salaire, où toutes et tous, participent aux décisions de la coop où même l’ancienneté, est abolie. C’est du soviétisme, un début de communisme. Ils ne peuvent faire disparaître le salariat, sans une révolution prolétarienne, voilà pourquoi on assiste à un dévié du socialisme ou du communisme. Les principes entrent en contradiction avec le système actuel.

    Anarcho-Pragmatisme a dit:

    « Je ne suis pas un anarcho-syndicaliste à proprement dit mais une société avec un État le plus petit possible facilitera ce genre d’initiatives.

    Bravo à la Coopérative Filspec! »

    Le communisme, c’est l’absence de l’État proprement dit. Lorsque le communisme est atteint, lorsque ce que l’on peut se vanter de tel exploit (avec les bâtons qu’on a dans les roues, ces capitalistes, c’est pas pour demain la veille.), l’État a cessé d’exister, c’est entre autre pourquoi le communisme n’a jamais existé et pourquoi Staline, Pol-Pot, Kim-Jong-Il et Hu-Jintao ne sont que des impostures.

    Ce qu’ont fait les ouvriers en Argentine, c’est de l’occupation d’usines, une mesure prise par certains mouvements communistes et rejetée par d’autres. Certaines de ces usines ont choisi de remettre un pseudo-bourgeois à la tête de leur usine, alors que d’autres, ont préféré les « conseils populaires révocables en tout temps », les « soviets ».

    Et votre phrase ne justifie en rien l’existence du capitalisme, du privé, de l’exploitation de la majorité prolétarienne par la minorité parasitaire bourgeoise, et non plus des besoins et des misères d’autrui, comme le ferait le privé en santé, ou la vente d’eau, puis ensuite d’oxygène, et quoi encore?

    Le parasitisme est répréhensible. Ai-je ici le droit de souhaiter le « bon débarras » du parasitisme?

  7. Ping : Le participalisme et l’après capitalisme « Homo politicus

  8. Anonyme

    L’autogestion c’est bien, mais l’autogestion dans le systéme capitaliste cela accouche d’une forme d’auto-exploitation. C’est pourquoi il est important d’être révolutionnaire et de ne pas croire que l’autogestion seule feras tout. Les travailleurs Argentin en ont fait une amére expérience ces derniéres années, ils ont beaux faire tourner leurs usine sans patron, ils sont quand même intégré dans le systeme de la dictature du fric : Ils travaillent plus, pour un salaire moindre.

    un Anarchosyndicaliste de la CNT-AIT (région France)

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